A Clermont, un congrès CGT en pleine effervescence sociale

Tenir un congrès confédéral au sein d’un puissant mouvement social n’est pas une situation inédite à la CGT. En décembre 1995, alors que le pays est paralysé par la contestation du plan Juppé, la centrale se réunit à Montreuil, confirmant à sa tête le secrétaire général sortant, Louis Viannet. Et en adoptant la stratégie de « syndicalisme regroupé », comme une main tendue aux autres syndicats.
En 2023, les protagonistes ont changé, mais l’enjeu n’en est pas moins important puisque 3,5 millions de personnes se sont mobilisées contre la réforme des retraites jeudi 23 mars, après plus de deux mois de grèves et de manifestations.
« On ne peut pas faire de théorie sans pratique. L’unité syndicale est-elle utile au mouvement social ? Le débat sur la notion de syndicalisme solidaire traverse la CGT. Je vois que lorsque les syndicats sont unis, on bat des records de mobilisation. mesurait Philippe Martinez, en Magazine de l’humanité du 16 mars.
Le secrétaire général sortant passera le relais à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Sa succession animera une grande partie des débats, jusqu’à vendredi.
1. Un congrès qui bat son plein sur les retraites
Galvanisées par la lutte contre la réforme des retraites, les organisations ouvrières ont signé leur retour sur le devant de la scène, après une décennie de « l’atonie syndicale », assure Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique.
Fin février, selon un sondage OpinionWay, 54% des Français estimaient » responsable » l’attitude des confédérations. « Ce mouvement est la démonstration du rôle central encore occupé par la CGT, au-delà de sa deuxième place de représentativité (derrière la CFDT – NDLR), dit le chercheur. Elle reste la force capable de construire des mobilisations collectives. »
Des fédérations, dont celles de l’énergie, de la chimie, des ports et docks et des cheminots, se sont notamment distinguées en lançant des grèves reconductibles, en plus des journées d’action interprofessionnelles décidées par l’intersyndicale.
Par ailleurs, durant les six premières semaines du mouvement, la CGT a syndiqué plus de 13 000 salariés. Ces recrutements représentent, par endroits, la moitié des adhésions réalisées sur un an. En février, la CGT revendiquait 605 603 adhérents.
Pour 68% des Français, les syndicats, dont la confédération fondée en 1895, sont renforcés par le mouvement actuel, selon un sondage Elabe pour BFMTV. Nul doute que cette situation influencera les débats des délégués à Clermont-Ferrand, alors que la stratégie de la CGT, et notamment l’efficacité de l’unité syndicale pour extraire le progrès, est remise en cause.
2. Du syndicalisme solidaire au rassemblement du syndicalisme ?
Après plus de deux mois de mobilisations, ponctuées de manifestations record, et un passage en force à l’Assemblée par l’exécutif avec recours à l’article 49.3, l’intersyndicale tient bon. Philippe Martinez y voit la confirmation de la stratégie de syndicalisme solidaire, initiée en 1995 par la CGT.
Selon Stéphane Sirot, cette stratégie, « outil efficace pour former le plus grand nombre » dans les manifestations, reste plus « compliqué » à mettre en œuvre au moment du durcissement des rapports de force, notamment dans la reprise des grèves. L’historien du syndicalisme y voit « un sujet de débat majeur » au sein du cégétiste central.
« On n’a pas de vraie stratégie, c’est ça le problème » confiée à Humanité un cadre d’une grande fédération, qui pointe la difficulté, en dehors d’un grand mouvement social, de mobiliser les salariés pour influer sur les rapports de force nationaux, dans un paysage social atomisé par les lois Macron et El Khomri.
La CGT consacre une partie de son document d’orientation au problème de la convergence des luttes et à celui de l’unité pour surmonter « division syndicale » progresser vers l’unification du syndicalisme. Le centre a « échanges réguliers et anciens » avec la FSU comme « une base solide »tout en tendant la main à Solidaires, sans préciser, pour l’instant, le cadre de ces rapprochements.
Lors de la dernière Fête de l’Humanité, Philippe Martinez assurait : « Nous avons un socle commun de revendications, d’idées de transformation très important. Ce débat ne doit pas rester un débat de chefs. Un échange d’expériences doit avoir lieu dans les entreprises et dans les territoires. »
Pour Stéphane Sirot, « Une défragmentation du champ syndical est nécessaire, car il n’y a jamais eu autant d’organisations avec aussi peu de syndiqués. Deux propositions majeures pour le syndicalisme demeurent. Celui porté historiquement par la CGT, en rupture avec le capitalisme. Et celle de la CFDT, de culture chrétienne, porteuse du concept de partenariat social ».
Prudent, Baptiste Giraud souligne la complexité de la démarche : « Intégrer des militants d’une autre organisation est toujours difficile, car ils ont des cultures syndicales différentes, avec des liens militants parfois conflictuels. »
3. Le défi de l’ouverture de la CGT à la société civile
C’est sans doute le principal héritage de l’ère Philippe Martinez à la tête de l’usine. En juin 2020, à la sortie du premier confinement, la CGT, Attac, la Confédération paysanne, Oxfam, Greenpeace et d’autres constituaient le collectif Plus jamais ça.
Au central, ce rapprochement fait débat, notamment en raison de la présence de Greenpeace, avec les positions divergentes de la CGT sur les questions énergétiques. « Au dernier congrès, la CGT a décidé, pour transformer la société, de s’ouvrir aux autres, souligne un fonctionnaire fédéral. Mais cela soulève plusieurs questions : avec qui, comment, pourquoi et sur quelle base ? Ce débat n’a pas eu lieu concernant la participation de la CGT à Plus jamais ça, et les fédérations et UD (syndicats départementaux) ont l’impression qu’il leur a été imposé. »
La fédération mines-énergie a notamment exprimé son désaccord avec la mention, dans les documents du collectif, de l’arrêt des investissements dans le nucléaire et les énergies fossiles, contradictoire de son point de vue avec la défense de l’emploi dans la production d’électricité.
Co-pilote du collectif environnement, Marie Buisson estime pour sa part que « La crise climatique, les aberrations du capitalisme et la répartition des richesses entre capital et travail démontrent l’urgence de faire front avec d’autres syndicats, associations et ONG pour gagner ».
Selon le secrétaire général de la Ferc-CGT (enseignement, recherche, culture), cette démarche va de pair avec le développement de la CGT, « outil syndical qui a prouvé son utilité dans le mouvement social ». Et le fait que « la CGT continue de mener ses batailles sur l’augmentation des salaires, avec une campagne depuis plus d’un an autour d’une rémunération minimum de 15 euros bruts de l’heure, 32 heures et la retraite à 60 ans ».
Pour Stéphane Sirot, Plus jamais ça, comme le Pacte pour le pouvoir de vivre, réunissant la CFDT, le Secours Catholique et la Fondation Abbé-Pierre, reflète la recherche de solutions pour « une faiblesse relative du syndicalisme ». « Le champ syndical était hégémonique sur le discours de transformation sociale, c’est moins le cas aujourd’hui », poursuit l’historien, qui rappelle que « dans son histoire, la CGT a déjà approché un certain nombre de mouvements ».
4. Un nouveau secrétaire général ?
Le départ de Philippe Martinez, après huit ans de mandat, est l’un des événements de ce 53e congrès confédéral. Pour sa succession, le secrétaire général sortant propose la candidature de Marie Buisson. Un choix entériné par un vote de la direction confédérale. « Marie partage l’idée d’ouverture de la CGT votée au précédent congrès, observe Philippe Martinez. Sa fédération est loin d’être la plus petite. La Ferc est l’une des rares à progresser, chaque année, en nombre d’adhérents, c’est un signe. »
Si ce choix est validé par le comité confédéral national (CCN) lors du congrès, Marie Buisson deviendrait la première femme à occuper ce poste.
Cependant, selon Baptiste Giraud, « la succession de Philippe Martinez s’annonce difficile, des surprises ou un revirement ne sont pas à exclure ». Le secrétaire de l’UD des Bouches-du-Rhône, Olivier Mateu, opposant à la stratégie de «syndicalisme rassemblé», se présente comme candidat.
« Le choix de Marie Buisson n’est pas partagé par toutes les fédérations et UD, dit un présentateur de l’un de ces derniers, car elle a soutenu la démarche de Never Again, avec tous les débats que cela pose. » La personne concernée assume ses convictions. » Le changement climatique et l’épuisement de nos ressources vont d’abord impacter nos modes de production, tranche Marie Buisson. La lutte des classes est fondamentale. Et l’égalité de rémunération et les violences sexistes et sexuelles sont avant tout des problèmes de main-d’œuvre. Le syndicalisme n’est pas seulement théorique. Il faut s’interroger sur sa matérialisation et se lever pour obtenir des améliorations concrètes et rapides au profit de ceux qui vivent du travail. »
Certaines fédérations ont également proposé le nom de Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral. Pour l’heure, l’intéressé ne postule pas à la succession de Philippe Martinez . La candidature de Marie Buisson à la fonction de secrétaire général de la CGT reste la seule statutairement enregistrée.
5. Comment structurer la CGT face aux mutations du travail ?
C’est un enjeu fondamental de ce congrès. Comment changer les structures de la CGT pour représenter tous les travailleurs, notamment les ubérisés ou employés dans la sous-traitance ?
« Les fédérations font parfaitement le travail vis-à-vis des syndicats d’entreprise. Mais le mouvement social actuel montre que la force de la CGT, c’est aussi sa présence sur tout le territoire dans des structures interprofessionnelles, note Marie Buisson. Les syndicats locaux (UL) sont les portes d’accès à la CGT lorsqu’une entreprise n’a pas de délégués ou de syndicats. »
Pour Stéphane Sirot, « la question posée est celle du fédéralisme de la CGT », rappelant que la Confédération s’est construite sur les branches professionnelles et les bourses du travail. L’historien ajoute que « La Confédération est passée à côté de la compréhension du mouvement des gilets jaunes ».
Selon lui, « les rares épisodes de rencontres entre cégétistes et gilets jaunes se sont produits grâce à des structures locales ». Rattachés majoritairement à l’UL, les adhérents sans syndicats d’entreprise représentent 15,5 % des effectifs de la CGT.
Le document d’orientation prévoit l’organisation d’assemblées générales sur ce sujet et la mise en place d’un « travailler avec les UD et les dix fédérations les plus concernées ». Pour le candidat au poste de Secrétaire Général, « les structures de la CGT doivent évoluer avec la situation des travailleurs » Pour mieux les représenter.
Marie Buisson ajoute :« Quelle que soit la forme de travail, chacun doit trouver sa place à la CGT. » Enfin, outre la syndicalisation des jeunes, notamment au sein du Sela (syndicats d’étudiants salariés, lycéens et apprentis), la CGT vise à syndiquer 60 000 à 70 000 travailleurs supplémentaires chaque année.
Grb2