Nouvelles locales

A Casal di Principe, quand le patron de la Camorra se met à table, la ville tremble

La rumeur se répandait à voix basse, derrière les volets fermés. « Sandokan » va parler. À Casal di Principe, une ville de 20 000 habitants dans la Campanie rurale, les gens ne savent pas s’ils doivent remercier le ciel pour cette nouvelle inattendue ou prier pour qu’elle n’annonce pas le retour de grands malheurs. Depuis sa cellule, où il est enfermé depuis vingt-quatre ans et cinq mois dans le plus strict isolement, Francesco Schiavone, dit « Sandokan » (surnom donné au héros pirate barbu d’une série télévisée populaire des années 1970), a décidé fin mars de se repentir. A 70 ans, le parrain du clan qui a mis la ville sous son contrôle serait prêt à révéler les derniers secrets de ses crimes en échange d’une nouvelle vie sous la protection des forces de l’ordre, ses ennemis de toujours.

Celui aussi appelé « le Tigre » avait pourtant fait de son silence une barrière aux investigations. Il avait confirmé son statut de leader intransigeant, garant des codes d’une société criminelle ayant infiltré tout ce que ce territoire agricole jouxtant la banlieue nord de Naples pouvait offrir en termes de richesse. Traitement des déchets, immobilier, production de mozzarella : « Sandokan » a transformé la Camorra de Casal di Principe en une puissante mafia entrepreneuriale, recyclant ses bénéfices bien au-delà de la Campanie, au prix d’un équilibre de la terreur entre alliances d’intérêts et massacres ciblés.

Depuis mars, le vieillard barbu a avoué plusieurs fois par semaine devant un magistrat du parquet antimafia de Naples. Le contrat est simple : s’il détaille sans détour les zones grises du pouvoir des Casalesi – leurs trésors introuvables, les noms d’hommes d’affaires et politiques compromis, etc. –, il pourra éviter de mettre fin à son existence sous le régime carcéral impitoyable de « 41 bis », réservé aux mafieux et terroristes. Mais, en agissant ainsi, il brise à jamais sa statue de leader charismatique et pulvérise en même temps son héritage criminel, partagé entre ses cinq descendants mâles, Carmine, Walter, Nicola, Ivanhoe et Emanuele Libero.

Renato Natale, maire de Casal di Principe (Italie), le 18 juin 2024. Renato Natale, maire de Casal di Principe (Italie), le 18 juin 2024.

Chez ceux qui connaissent le mieux son clan, le doute demeure : en agitant le drapeau blanc, cet habile chef de guerre et négociateur ne fait-il pas, là encore, un geste stratégique ? L’un de ses adversaires les plus coriaces, le maire sortant de Casal di Principe, Renato Natale, 73 ans, ne cache pas qu’il a lui-même été surpris en apprenant la nouvelle. « C’est une décision à prendre avec des pincettes. Si ce qu’il dit est réel et concret, alors on peut se réjouir, mais, au-delà de ce qu’il dit, l’important c’est que « le Tigre » a lâché prise., analyse ce petit homme assis dans le bureau aux murs blancs qu’il occupe encore quelques jours avant de passer la main après les élections municipales conclues ce lundi 24 juin à 15 heures « Nous sommes dans une situation d’incertitude, poursuit le conseiller. Je me souviens comment sont nés ces patrons : c’étaient d’abord des petits criminels. Ainsi, compte tenu du contexte historique, chaque petit groupe aujourd’hui en phase de création peut être très dangereux. »

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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