A l’extrémité sud de la Corse, île méditerranéenne du sud de la France, Bonifacio domine la mer de façon spectaculaire depuis le XIIe siècle, perchée sur des falaises calcaires. Alors que les expertises ont écarté tout « risque imminent » d’effondrement, deux demeures emblématiques ont été évacuées, au grand désespoir de leurs propriétaires.
« Les levers de soleil ici sont tout simplement la plus belle chose au monde »Aurélien Drach, fils de l’actrice française Marie-José Nat, décédée en 2019, a expliqué à l’AFP. Cette figure familière de l’écran dans les années 60 et 70, très attachée à l’île, avait fait construire dans les années 1980 l’une des plus célèbres maisons de Bonifacio, classée patrimoine remarquable par l’Etat français.
D’où « l’immense tristesse » provoquée par un arrêté préfectoral d’expulsion en octobre 2022, confie ce réalisateur de 49 ans, privé de sa maison familiale depuis deux ans mais qui doit néanmoins continuer à payer impôts et assurances. La procédure d’expropriation n’a en fait été lancée par la préfecture qu’en août dernier.
Pour s’y opposer, il a porté l’affaire devant le tribunal administratif de Bastia, arguant que le rapport d’expertise concluait que« absence de danger imminent »Une audience est prévue le 1er octobre.
« Les techniciens nous disent que nous avons des défauts actuels et des risques de ruptures qui surviendront d’ici un siècle. (dans cent ans, ndlr) et surtout sans panneaux d’avertissement, donc je ne peux pas laisser les gens vivre dans les bâtiments »explique le sous-préfet Gaël Rousseau à l’AFP.
Mais pour Aurélien Drach, le rapport d’expertise est basé sur « des défauts hypothétiques qu’ils cherchaient sans parvenir à les trouver »conduisant à des conclusions techniques trop incertaines, selon lui, pour justifier une expulsion.
Renforcement de la falaise ?
En cette journée ensoleillée de septembre, la place du Marché et la place Manichella qui entourent sa maison sont pleines de touristes enchantés par la vue sur la Méditerranée. Et c’est aussi ce qu’Aurélien Drach ne comprend pas. « Soit il y a danger et on ferme toute la zone, mais si ma maison tombe, il y a fort à parier qu’elle emportera avec elle une partie des places et les deux millions de touristes qui y viennent chaque année », il pointe du doigt.
Classé dans « risque hautement caractérisé » pour le danger « effondrement massif » En cent ans, la moitié de la place du Marché est recouverte depuis cet été d’un massif végétalisé pour maintenir les piétons à cinq mètres du bord de la falaise.
Quant à la place Manichella, des grilles viennent d’être installées pour fermer l’accès les jours de fortes pluies, en alerte orange ou rouge.
Mais aucun des touristes français ou étrangers interrogés par l’AFP aux terrasses bondées des trois cafés de la place du Marché n’avait conscience d’un éventuel risque d’effondrement.
« C’est à cause de la réchauffement climatique « L’État ne peut rien faire ? Le renforcement avec du béton n’est pas possible ? » demande Ludovic Vergé, en vacances pour la première fois à Bonifacio. « S’ils mettaient une cagnotte pour financer les travaux, les gens feraient certainement des dons, moi le premier pour préserver ce site »assure ce professeur d’aquagym de 31 ans.
Des travaux de renforcement de la falaise sont également souhaités par Marie-Pierre Portafax, la copropriétaire de la deuxième maison, datant de 1700, concernée par l’arrêté d’expulsion. « Prouvez-moi qu’on ne peut pas consolider la falaise comme on l’a fait à Nice (sud de la France) et à Villerville (nord-ouest) »elle demande.
« Pas de danger géologique imminent »
Le rapport d’expert évoque la possibilité de renforcer la falaise avec « 200 boulons d’ancrage » mais ne le fais pas « je ne recommande pas à ce stade » en raison d’un « risque de déstabilisation » à leur installation.
Au-delà de ces deux maisons, un rapport d’expertise portant sur toute la haute ville, présenté aux habitants cette semaine, a confirmé qu’il n’y avait pas « aucun danger géologique imminent » effondrement de falaise.
Mais les inquiétudes concernant les fondations des 33 maisons à flanc de falaise ont conduit l’État à financer une étude sur la vulnérabilité des bâtiments. Le maire de Bonifacio, Jean-Charles Orsucci, craint ce qui pourrait être découvert lors de cette étude. « bilan de santé complet » dans une cité médiévale.
Ces analyses seront réalisées sur la base du volontariat, a précisé le sous-préfet, mais si des faiblesses sont révélées, les propriétaires devront, à leurs frais et de manière obligatoire, y remédier. A condition que cela soit encore possible et donc au risque de nouvelles expulsions.
« Que sont les siècles pour la mer ? »lit-on au-dessus de la porte-fenêtre de Mme Portafax, donnant sur un balcon suspendu au-dessus des eaux turquoise. Le titre d’un roman de l’écrivain, historien et homme politique français Max Gallo (1932-2017) mais aussi une interrogation sur l’avenir de la falaise.
GrP1