Au 101 bis chemin de Laharie, rive droite de Bayonne. Une maison fatiguée à vendre. La perspective d’une bonne affaire pour le vendeur. Une dégringolade financière juteuse pour le promoteur ou l’acheteur rénovateur. Scénario immuable sur la Côte Basque ? Pas pour l’association Etxalde, bien décidée à rompre avec cette fatalité, à travers une alternative radicale. « Ce qui permet de sortir définitivement le bien du marché immobilier », précise Beñat Etchebest, président de l’association transformée en coopérative en 2021.
Première étape, facultative mais bienvenue : trouver un vendeur sensible à la crise du logement. À carreaux. « La personne qui a hérité de cette propriété habite à Bordeaux. Elle ne voulait pas faire quelque chose qui pourrait lui rapporter de l’argent. Elle n’avait pas d’autre solution que de vendre. Elle a regardé ce qui se passait dans la région et a fait la connaissance d’Etxalde », raconte Francis Carricart, coopérateur et membre de l’association locale d’animation économique Hemen. Contact, négociation et transaction « légèrement en dessous du prix moyen du marché ». 440 000 euros, frais de notaire inclus. Au lieu de « au moins 500 000 ».
Entre alors en jeu le dispositif imaginé par Etxalde, testé une première fois à Boucau sans succès (lire par ailleurs). La coopérative, aujourd’hui composée de 170 associés, acquiert la maison. Divisé en deux parties, il accueille des utilisateurs, appelés usufruitiers. Ils devront chacun débourser la somme de 220 000 euros. Ce montant réglé, les deux usufruitiers sont en quelque sorte « propriétaires de l’usage » à vie, c’est-à-dire du fait de pouvoir vivre indéfiniment. Les travaux de rafraîchissement relèvent également de leur responsabilité. La société coopérative conserve la « nue-propriété », c’est-à-dire la propriété des murs de la maison.
Une éthique à respecter
Le modèle revendique plusieurs vertus. Pour l’usufruitier, le gain financier par rapport à une location traditionnelle est important sur le long terme. « Lorsqu’on est usufruitier, on paie une fois pour toutes l’usage du bien. Quand on est locataire, sur une durée de 60 ans, de 20 à 80 ans par exemple, on paie l’équivalent de trois fois le bien », illustre Beñat Etchebest.
Jouissant éternellement des lieux, l’usufruitier « peut choisir la personne qui pourra, à son départ ou à son décès, reprendre ce logement, sans rien payer de plus », souligne Francis Carricart. « Nous supprimons les dépenses liées aux droits de succession », ajoute Beñat Etchebest. Et s’il n’y avait pas de suite ? Etxalde récupère le bien, « et le proposera à moitié prix » à un nouvel usufruitier, le bien ayant déjà été payé une première fois. Les critères de désignation de ce dernier sont les mêmes qui prévalaient pour son prédécesseur : « Être actif, travailler au plus près pour ne pas créer d’embouteillages », cite Beñat Etchebest. Et celui qui en est déjà propriétaire n’a aucune priorité. »
L’usufruitier peut également revendre son « bien d’usage », au prix du marché, ou le louer. La coopérative de nue-propriété assure que la destination du bien n’est jamais « pour des activités ne correspondant pas à notre éthique, une résidence secondaire ou une location de type Airbnb ».
Le seul obstacle est de taille : malgré « une petite réserve de fonds », Etxalde n’a pas les moyens de payer seule les 440 000 euros. Elle lance un abonnement populaire (1) afin de récolter 260 000 euros d’ici la fin de l’année. « Nous avons fait une promesse d’achat, nous n’avons pas les fonds pour la bloquer. Les abonnés jouent le rôle de la banque, mais à taux zéro. Nous les remboursons dès la revente des usufruits. »
(1) https://www.etxalde.eu/
Boucau, premier échec
Début 2023, la coopérative Etxalde découvre un immeuble de huit appartements à vendre à Boucau sur leboncoin. Elle entreprend de les racheter, de devenir nue-propriétaire et d’héberger ses locataires actuels en tant qu’usufruitière. La somme à débourser pour acquérir le tout est très importante : 1,27 million d’euros. La souscription populaire lancée a permis de récolter 140 000 euros grâce au passage de 60 à 170 adhérents, mais c’est trop peu. « Nous pensions que l’État et les autorités locales trouveraient notre idée géniale et nous aideraient, mais ce n’était pas le cas. Cependant, notre modèle permet d’économiser sur les APL que perçoit un locataire et l’argent que nous avons demandé aux collectivités aurait été remboursé. Au lieu de cela, dans le même temps, la CAPB a versé 2 millions d’euros en deux fois aux organismes publics qui fournissent des logements sociaux. Chez nous, ce coût collectif a disparu », argumente Beñat Etchebest. Etxalde envisage alors d’acheter un seul appartement, mais le compte (220 000 euros pour un F3) n’est toujours pas là. Entre-temps, les taux d’intérêt avaient également augmenté pour les locataires et les éventuels futurs usufruitiers (de 1 à 4%), les rendant insolvables auprès des banques. Ils ne pouvaient plus emprunter pour acheter l’usufruit de leur maison. Ce premier échec ne décourage pas Etxalde. L’argent récolté est réaffecté au projet Bayonne