Jean-Jacob Bicep a beau être un homme sollicité de toutes parts, il reste sympathique. Chemise colorée sous un costume chic, on resterait là avec cet indépendantiste guadeloupéen dans un fauteuil, observant l’agitation de la COP29. Autour, les négociateurs courent de réunions en briefings. Secrétaire général de l’Union populaire de libération de la Guadeloupe, cet ancien député européen est invité à s’exprimer sur le « lien étroit » entre colonialisme et réchauffement climatique.
Le sujet, dit-il, est grave : la montée des eaux et l’intensification des tempêtes tropicales que subissent les îles antillaises seraient « aggravées » par la politique de l’État français. « Le scandale du chlordécone a empoisonné un quart de la population pour exporter des bananes « , ajoute Jean-Jacob Bicep, qui voit dans ces problèmes environnementaux et climatiques disparates des symptômes du mépris de la France à l’égard des territoires d’outre-mer. Avant la COP29, il s’était déjà rendu quatre fois dans la capitale azerbaïdjanaise pour parler de son combat.
Pointe-à-Pitre-Bakou : 24 heures de vol, deux escales. L’objet de ces visites répétées n’est pas le climat mais, selon ses mots : « la décolonisation de la Guadeloupe « . Jean-Jacob Bicep est membre, avec d’autres indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, de Martinique et de Corse, du Groupe Initiative Bakou. Créé en juillet 2023 pour « donner une plateforme à la lutte contre toutes les formes de colonialisme », l’ONG a été initiée par l’Azerbaïdjan lors de sa présidence du mouvement des non-alignés. A chaque réunion, Bakou paie tout : le voyage, l’hébergement et la nourriture.
Tentative de déstabilisation, selon Paris
Les autorités françaises n’accordent aucun crédit à ces considérations décoloniales et dénoncent des tentatives de déstabilisation de la part de Bakou. Si l’Azerbaïdjan cible ces territoires fragiles et stratégiques pour la France, c’est parce que ses relations avec Paris se sont dégradées à mesure que le soutien de la France à l’Arménie s’est intensifié. Ce rapprochement comporte depuis un an un volet militaire, avec la vente de matériel à Erevan, ce qui irrite Bakou. Cela fait suite à l’offensive militaire lancée en 2023 par l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, qui avait provoqué l’exode des 100 000 Arméniens qui vivaient dans ce territoire contesté. Depuis, l’Arménie dit craindre une menace sur son propre territoire.
Dans son bureau vitré surplombant le port de Bakou, Elchin Amirbayov, représentant du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, chargé de la normalisation des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, déplore « la détérioration sans précédent des relations » avec Paris : « La France doit comprendre qu’elle met en danger le processus de paix en livrant du matériel meurtrier. Être ami avec l’Arménie ne devrait pas signifier être ennemi de l’Azerbaïdjan. »
Ces tensions sont encore montées d’un cran, mercredi 13 novembre, lorsqu’Ilham Aliyev s’est de nouveau exprimé à la tribune de la COP29 contre la répression des émeutes en Nouvelle-Calédonie au printemps. Des drapeaux tricolores azerbaïdjanais ont alors été aperçus entre les mains des émeutiers kanak.
« Les leçons des crimes commis par la France dans ces territoires dits d’outre-mer ne seraient pas complètes sans évoquer les récentes violations des droits humains perpétrées par le régime. », a déclaré le président azerbaïdjanais devant les représentants du groupe PEID, qui regroupe les petits États insulaires en développement dans le jargon de l’ONU. Ceux-ci sont particulièrement chouchoutés à Bakou. La Guadeloupe et les autres départements d’outre-mer en font partie en qualité d’observateurs.
« Quelle instrumentalisation ? »
En réponse, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a annulé son voyage en Azerbaïdjan prévu la semaine prochaine, qui devait constituer le plus haut niveau de représentation française à la COP29. « L’Azerbaïdjan exploite la lutte contre le changement climatique à des fins personnelles indignes “, a-t-elle écrit dans un message sur la plateforme X. « C’est regrettable, l’absence de la France à la conférence sera visible », répond Elchin Amirbayov.
Jean-Jacob Bicep refuse que son mouvement soit qualifié de marionnette de Bakou. « Quelle instrumentalisation ? L’aide de l’Azerbaïdjan cause plus de problèmes qu’elle n’en apporte. Il y a une volonté de s’engager pour notre cause », déclare-t-il.
Déplorant que « rien ne change » Malgré les inquiétudes sur le coût de la vie et le « fossé » avec la France, il dit voir dans le soutien d’un pays étranger la seule solution pour faire pression sur Paris. Et qu’importe, selon lui, si ce soutien vient de l’Azerbaïdjan ou d’une autre puissance.