Finalement, Sacha ne veut pas franchir la grille de cette place située dans un quartier résidentiel d’Alfortville (Val-de-Marne), rue des Camélias. « Nous allons au jardin de la mairie., c’est plus grand, a déclaré Lucie, la mère du petit garçon de 2 ans. De plus, Sacha a peur de la statue. Placée sur un pilier, entre deux arbres, l’œuvre en question représente un abbé Pierre âgé, coiffé de son béret.
Le buste en bronze a été installé en 2012 dans le petit espace vert équipé de jeux pour enfants, qui porte le nom du fondateur d’Emmaüs la même année. Le religieux est décédé en 2007 et a terminé sa vie dans cette banlieue parisienne. « Alfortville reste fidèle à son message d’humanisme et de fraternité », est inscrit sur la stèle qui soutient le visage d’un « homme exceptionnel », De plus « citoyen d’honneur » de la ville.
Après les nouvelles révélations sur les violences sexuelles commises par celui qui était la personnalité préférée des Français, le texte paraît désormais bien incongru. Et le nom de la place ? « Il ne faut pas oublier ce que l’abbé Pierre a bien fait, mais il semblerait logique de le changer », répond Kélya, une élève de troisième année du collège Sainte-Thérèse venue discuter avec des amis. « Je suis plus en faveur d’un nouveau nom, Lucie croit aussi. En tout cas, c’est normal qu’on se pose la question. Mais je n’irai pas à la mairie pour l’exiger. »
Un conseil municipal le 26 septembre
La décision est de toute façon presque prise. L’amendement est à l’ordre du jour du conseil municipal du 26 septembre. « Pour être honnête, je n’ai pas reçu un seul message d’un habitant me demandant de renommer la place, explique Luc Carvounas, maire socialiste d’Alfortville, élu en 2012 juste après l’inauguration du lieu. Mais nous le devons aux victimes. Sinon, quelle image renverrions-nous aux femmes ?
Quant à la statue, elle sera retirée. Les services municipaux s’entretiendront également avec l’auteur d’une fresque peinte sur la façade du POC, le centre culturel d’Alfortville, où apparaît un visage stylisé de l’abbé. Il ne reste plus qu’à « Maison de l’Abbé »l’ancien siège d’Emmaüs International. Le prêtre y a vécu ses dernières années, au 180 bis, avenue Paul-Vaillant-Couturier. Géré par la Fondation Abbé-Pierre et l’association Freha, le bâtiment a été transformé en logements pour personnes en difficulté.
Sur la façade, une plaque discrète rappelle que l’abbé « a vécu ». Une passante d’une trentaine d’années l’a croisée devant l’immeuble et a avoué ne l’avoir jamais remarquée auparavant. « Mais ça pose quand même des questions, cette plaque est un peu dérangeante, je ne serais pas contre sa disparition », elle glisse avant de partir.
Nicole se souvient encore de l’appel de l’hiver 1954. Elle a 78 ans. « Je ne me sens pas capable de juger ce qu’il faut faire maintenant, elle dit. « A un moment donné, cet homme a fait du bien, c’est sûr. Mais si ce qui a été dit est vrai, c’est horrible. »
La place Abbé-Pierre devient la place Joséphine-Baker. « Une femme, militante pour les droits sociaux et l’égalité, et résistante », résume Luc Carvounas. Paulina, qui y vient régulièrement avec son bébé, approuve d’avance : « C’est très, très bien. »
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