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la fin de la naïveté européenne ?

A perte de vue, dans les parkings des ports belges, allemands et néerlandais, des dizaines de milliers de voitures chinoises. Ces images résument l’aspiration d’une Chine en surcapacité à inonder le Vieux Continent et la relative difficulté qu’elle éprouve, pour l’instant, à imposer ses véhicules sur un marché électrique en perte de vitesse. Ils donnent en tout cas la mesure du danger qui pèse sur l’industrie automobile européenne, en route vers l’interdiction de la commercialisation des nouveaux véhicules thermiques en 2035.

Moins de 3% des nouvelles inscriptions

Avec 353 000 unités, les marques chinoises ont vu leurs ventes augmenter de 74 % en Europe en 2023. Mais elles ne représentent encore que moins de 3 % des nouvelles immatriculations. Cette percée s’explique notamment par les subventions massives accordées par Pékin à ses constructeurs. Des subventions jugées injustes par la Commission européenne, qui a lancé une enquête sur ces pratiques à l’automne dernier et qui a pu mettre au jour des transferts d’argent et autres abandons de dettes au seul bénéfice des constructeurs chinois.

En réaction, sans fermer la porte au dialogue, Bruxelles a menacé, mercredi 12 juin, d’augmenter les taxes sur ses véhicules à partir du 4 juillet. Le taux, actuellement de 10 %, augmenterait proportionnellement à la distorsion de concurrence subie. Elle passerait ainsi à 17,4% pour BYD, leader mondial des véhicules électriques, à 20% pour Geely et même à 38,1% pour SAIC.

La réaction musclée des Etats-Unis

L’institut économique allemand Kiel a calculé qu’une augmentation des taxes à 20 % entraînerait un coût supplémentaire de 3,8 milliards d’euros par an pour les fabricants chinois et une réduction de 25 % de leurs exportations vers l’Europe. .

Le durcissement du discours à Bruxelles intervient en tout cas un mois après l’annonce choc de Joe Biden : la hausse de 25 à 100 % (soit un doublement du prix) des droits appliqués aux voitures chinoises. Une annonce pré-électorale immédiatement suivie d’une surenchère de Donald Trump, qui promet d’augmenter ces taxes à 200 % !

A côté de cette Amérique qui montre ses muscles dans une escalade populiste, l’Europe peut sembler jouer aux armes légères. « Mais il n’est pas nécessaire de construire une muraille de Chine autour de notre continent, assure l’économiste Patrice Geoffron, co-fondateur de l’Alliance pour la décarbonation routière. On peut, avec une augmentation raisonnable des impôts, compenser le différentiel de compétitivité, qui n’est pas si grand, entre l’Europe et la Chine, sans repousser l’horizon de la décarbonation. »

La réticence de l’Allemagne

Si l’Europe hésite à prendre des mesures encore plus fermes, c’est parce que ses membres ont du mal à trouver une position commune, comme le constate Anthony Morlet-Lavidalie, économiste au cabinet Rexecode. «Le chancelier Olaf Scholz freine. » Son ministre des Transports, le libéral Volker Wissing, n’a pas tardé, le 12 juin, à mettre en garde la Commission contre le risque de « guerre commerciale » avec Pékin (lire les références).

Il faut dire qu’avant d’être détrônée il y a quelques semaines par les Etats-Unis, la Chine est restée longtemps le premier partenaire commercial de Berlin. Et Volkswagen y réalise 40 % de ses ventes, Mercedes 30 % et BMW 16 %.

« Paris s’est montré à l’inverse volontariste, ce qui a poussé la France à menacer d’augmenter les droits de douane sur le cognac exporté vers la Chine », souligne Anthony Morlet-Lavidalie.

Mais le jeu est plus complexe qu’il n’y paraît, nuance ce chercheur, qui souligne « Le dilemme du prisonnier » : « Les États membres coopèrent pour former un front commun, mais chacun a aussi sa stratégie individuelle pour sauver ses intérêts nationaux. »

Opposée aux sanctions envisagées par la Commission, la Hongrie, dont le régime politique modérément démocratique n’est pas destiné à déplaire à Pékin, accueille sur son sol la production chinoise de batteries et de véhicules électriques, avec l’ouverture future d’une usine BYD. L’Espagne verra prochainement la reprise par le constructeur Chery d’un ancien site Nissan à Barcelone.

Et la France ? Elle n’aurait rien contre l’accueil d’un géant chinois, comme elle a accueilli le japonais Toyota en 2001 à Onnaing (Nord), où elle exploite ce qui est aujourd’hui la plus grande usine automobile de France.

Et quand on demande à un ministre sortant s’il y a des raisons de privilégier la toute nouvelle Citroën ë-C3 électrique produite en Slovaquie à une voiture chinoise qui serait fabriquée en France, il concède qu’il y a une correspondance… « Ce qui compte, c’est la valeur ajoutée produite sur notre sol. »

« L’Europe, le dernier espace des Bisounours »

«Au milieu des deux superpuissances que sont les Etats-Unis et la Chine, l’Europe est restée jusqu’à présent le dernier espace des Care Bears, estime Pascal Malotti, directeur de la stratégie chez Valtech, une agence digitale qui a une joint-venture avec Volkswagen. Elle ne s’est pas bien préparée à la vague à venir. Mais gagne enfin en lucidité. »

« Il faut rompre avec la naïveté » acquiesce Gérard Leseul, député PS sortant, rapporteur, en 2022, d’une commission d’enquête sur la désindustrialisation. « Nous devons fixer des limites sociales et environnementales à l’importation de voitures. »

C’est le sens du durcissement des conditions d’octroi du bonus écologique à la conversion : il prend désormais en compte toutes les émissions liées à la production et au transport, ce qui exclut les voitures transportées par bateau depuis la Chine, dont la très populaire Dacia Spring.

Renault allié à Geely, Stellantis s’associe à Leapmotors

Les constructeurs du Vieux Continent semblent avoir une longueur d’avance sur les Etats. A moins que ce ne soit une démission. Renault a confirmé fin mai la création avec le chinois Geely d’une joint-venture baptisée Horse, qui vise à « le leader mondial du marché des moteurs à combustion interne, des transmissions et des hybrides ».

Stellantis, de son côté, vient de créer une joint-venture – dont elle détient 51 % – avec Leapmotor. Le groupe intègre ainsi une quinzième marque, avec pour objectif de commercialiser ses véhicules électriques en Europe dès septembre prochain. Quitte à concurrencer ses propres véhicules Peugeot, Citroën, Fiat, Opel et autres Chrysler…

« Stellantis veut s’assurer une part du gâteau alloué aux Chinois en Europe »analyse Maria Lee, spécialiste automobile chez Sia Partners. Il s’agit aussi de nouer une alliance pour pénétrer le marché chinois, après l’échec de sa stratégie solo. »

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Menaces de représailles de la Chine

« Un cas typique de protectionnisme. » Pékin a réagi le 12 juin aux annonces de Bruxelles sur une possible augmentation des droits de douane sur les véhicules chinois. « Cela serait préjudiciable aux propres intérêts de l’Union européenne. » a menacé un porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Une telle mesure pourrait affecter, prévient-il, « la stabilité de la production automobile mondiale et des chaînes d’approvisionnement ».

Un début de réponse. En janvier, la Chine a ouvert une enquête pour pratiques déloyales concernant des alcools comme le cognac.

D’autres secteurs dans le viseur. Selon la presse chinoise, le vin, les produits laitiers, le porc et les gros moteurs pourraient faire l’objet de mesures de rétorsion.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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