RAPPORT. Forte inflation, taux d’intérêt élevés, fuite des cerveaux… L’économie russe est en « surchauffe », selon les experts
L’état de santé économique de la Russie, facteur très important pour le sort de la guerre en Ukraine, est scruté à l’occasion de l’ouverture du Forum économique de Saint-Pétersbourg, qui s’ouvre ce mercredi.
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Comment se porte l’économie russe ? Alors que le Kremlin se vante de son bilan économique, les experts s’accordent à dire que l’économie russe ne se porte pas aussi bien que le prétend Vladimir Poutine. Mercredi 5 juin s’ouvre en Russie le forum économique de Saint-Pétersbourg : pendant quatre jours, comme chaque année, l’élite économique russe et ses partenaires se retrouvent dans l’ancienne capitale pour ce qu’on appelait le « Davos russe »… Mais ça C’était avant la guerre contre l’Ukraine, car le forum de Saint-Pétersbourg n’est plus le symbole d’une Russie ouverte sur le monde des affaires. On n’y rencontre plus de dirigeants occidentaux. Et même les dirigeants du Sud que Moscou voudrait entraîner dans son sillage sont relativement discrets.
Cette tribune reste une nouvelle occasion pour Vladimir Poutine de vanter son bilan économique lors d’un discours qu’il prononcera vendredi, discours dans lequel il devrait probablement répéter ce qu’il dit depuis des mois : « L’année dernière, l’économie russe a connu une croissance plus rapide que l’économie mondiale. Nous avons surperformé non seulement les principaux pays de l’Union européenne, mais aussi tous les pays du G7.». Ce discours est celui des dirigeants russes résumé en une phrase : la Russie s’en sort mieux que l’Occident économiquement. Sous-entendu : le pays est suffisamment fort pour résister aux sanctions et rien n’entrave son développement. C’est aussi ce que dit régulièrement la télévision d’État.
Depuis le début de la guerre, le gouvernement russe a apporté un soutien massif à son économie, à travers la construction navale, mais surtout l’industrie de défense. Ce secteur représente aujourd’hui probablement près de 10 % du PIB russe, au moins 30 % du budget de l’État lui est consacré. Cette intervention massive stimule l’économie russe, qui peut donc afficher des chiffres en apparence très flatteurs.
Mais cela ne signifie pas que l’économie russe soit en bonne santé. Vladimir Poutine ne retient que les chiffres qui lui conviennent. Pour financer sa guerre, la Russie doit puiser dans ses réserves, augmenter fortement les impôts, et son taux de croissance est artificiel, estiment de nombreux économistes qui jugent que l’économie russe est en «surchauffé« , comme Alexandra Prokopenko, ancienne conseillère à la Banque de Russie.
« Cette croissance comporte deux composantes qui témoignent de la mauvaise santé de l’économie russe : l’inflation qui est de 10 % et le niveau des taux d’intérêt qui est incroyablement élevé, à 16 %. Si l’économie était saine, un taux à deux chiffres serait tout simplement ce n’est pas nécessaire.
Alexandra Prokopenko, ancienne conseillère de la Banque de Russiesur franceinfo
La Russie connaît également d’importants problèmes de main-d’œuvre. En conséquence, les salaires augmentent, ce qui accroît encore l’inflation et affaiblit le rouble. Ses perspectives sont donc sombres, juge Sylvain Bersinger, chef économiste du cabinet Asteres. « Lorsque les jeunes les plus qualifiés partent à l’étranger, c’est un frein à la croissance à long terme. À moyen et long terme, avoir des investisseurs étrangers qui reviennent, dans les technologies, ce sera très difficile. a des dépenses publiques importantes qui, certes, soutiennent la croissance, mais qui sont destinées à fabriquer des bombes. Il ne s’agit pas de dépenses d’infrastructure dans le pays, de dépenses de recherche et développement ou d’éducation. l’avenir de l’économie russe n’est pas brillant »analyse l’expert.
En attendant, l’économie russe semble toujours résister aux sanctions internationales. Elle parvient notamment à les contourner en faisant transiter certaines marchandises sous embargo par des pays comme la Turquie ou les Émirats arabes unis. Elle vend son gaz et son pétrole à l’Inde et notamment à la Chine. Mais il manque d’investissements étrangers et Pékin fait le strict minimum, explique Alexeï Chigadaev, spécialiste des relations sino-russes. « Nous devons séparer l’économie de la politique. Sur le plan politique, les deux pays collaborent réellement. Sur le plan économique, la Chine achète bas et vend haut. Il n’y a pas de traitement préférentiel pour la Russie. La Chine n’investit pas en Russie. En fait, la Russie est de plus en plus dépendante de la Chine, ce qui la fragilise.
Autant de handicaps dont souffre l’économie russe et dont Vladimir Poutine ne parle jamais. Mais son objectif reste de financer la guerre en Ukraine, et il y parvient. Quant à savoir combien de temps cela pourrait durer, l’économiste russe Tatiana Mikhaïlova, basée aux États-Unis, est directe : « Je suppose que vous voulez savoir si l’économie russe peut résister au poids de la guerre ?
« Malheureusement, je peux vous dire que la Russie, dans la situation actuelle, peut faire la guerre indéfiniment. »
Tatiana Mikhailova, économiste russe basée aux États-Unissur franceinfo
« Le niveau des dépenses militaires, qui figure actuellement dans le budget, peut être maintenu indéfiniment », assure Tatiana Mikhailova. En résumé, l’économie russe est en surchauffe, mais elle résiste. Ses perspectives à long terme sont médiocres, mais ce n’est pas la préoccupation du Kremlin.