POINT DE VUE. L’URSS n’a pas libéré l’Europe
La Russie n’a donc pas été invitée à participer aux célébrations du 80e anniversaire du Débarquement. Si l’Union soviétique était notre alliée contre l’Allemagne nazie, la Russie est, depuis la guerre qu’elle a menée en Ukraine avec une effroyable brutalité, une menace pour l’Europe. Comment un pays dont les plus hauts dirigeants déforment sans vergogne la vérité historique et menacent régulièrement les capitaux qui s’opposent à son nouvel impérialisme de la foudre atomique pourrait-il être invité à honorer ceux qui sont morts pour la liberté des Européens ?
Si Poutine présente le peuple russe comme celui qui a vaincu les nazis, il ignore le rôle joué par Staline dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, avec la signature du pacte Ribbentrop-Molotov et ses protocoles secrets qui ont préparé le terrain à l’invasion. des pays baltes par l’Armée rouge et la partition de la Pologne en septembre 1939. Il oublie aussi qu’en pourcentage de la population, la Biélorussie, l’Ukraine, l’Arménie, la Lettonie ont payé un prix plus lourd dans la guerre que la Russie (elle-même à égalité avec la Lituanie) .
Quant au rôle de l’URSS dans la victoire, sa nature doit être clarifiée. Cela n’a en aucun cas libéré l’Europe. Au contraire, il a profité de la guerre pour en asservir la moitié en en faisant des « démocraties populaires » là où les libertés démocratiques, justement, n’existaient pas. Nous étions déjà sous le déguisement du langage.
En 1940, le NKVD assassina méthodiquement à Katyn la quasi-totalité des officiers polonais faits prisonniers après l’invasion de la Pologne le 17 septembre 1939. Puis en septembre 1944, l’Armée rouge, arrivée sur les rives de la Vistule, ne fut pas venue au pouvoir. aide au soulèvement de Varsovie, auquel Radio Moscou avait appelé en juillet. Les Soviétiques laissent les Allemands écraser la résistance polonaise…
Disparition de l’Europe centrale
Churchill et Roosevelt ayant ratifié à Yalta la partition de l’Europe proposée par Staline, Moscou installe alors méthodiquement ses hommes au pouvoir dans les capitales d’Europe centrale. Les nouvelles autorités ont systématiquement marginalisé, emprisonné ou éliminé tous ceux qui représentaient une opposition potentielle. Rappelons aussi la répression sanglante des émeutes ouvrières de Leipzig en 1953, de Poznań en Pologne en 1956, le massacre de la révolution hongroise la même année, l’écrasement du Printemps de Prague en 1968.
Jusqu’à l’instauration de l’état de guerre en Pologne en décembre 1981. « Bien sûr, nous ne ferons rien » a déclaré Claude Cheysson, ministre des Affaires étrangères sous François Mitterrand. L’Occident avait décidé de s’accommoder de ce partage injuste. Ce qui a poussé Milan Kundera à écrire (1) : « (Les pays satellites de la Russie) ont disparu de la carte de l’Occident », à tel point que « L’Occident n’a même pas remarqué (la) disparition » de l’Europe centrale.
Nous n’avons pas encore suffisamment apprécié cette vérité lorsque nous parlons de l’Union soviétique dont la Russie de Poutine veut être l’héritière. C’est sans doute la raison pour laquelle le soutien occidental à l’Ukraine arrive si tard et pourquoi l’Ukraine en paie le prix avec tant de morts. Kundera, il faut le rappeler, a également écrit que l’une des causes de cette « disparition » est l’idée d’un « monde dit slave ». Aujourd’hui, au nom d’un monde dit russe, Poutine voudrait empêcher l’Ukraine de devenir, à son tour, européenne.
(1) Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale, Le Débat, 1983, n° 25.