Le collège, le maillon faible du système éducatif ?
Dans un article récent publié sur Cairn – site spécialisé dans la publication et la diffusion d’articles en sciences humaines, Guillaume Gros, professeur d’histoire-géographie et chercheur, revient sur l’histoire du collège français. Pour l’historien, le choc des savoirs est « symptomatique des dysfonctionnements structurels de notre système éducatif ». Il répond aux questions du Café Éducatif.
Vous évoquez un choc des savoirs symptomatique des dysfonctionnements structurels de notre système éducatif. Ce est-à-dire ?
Sur le plan purement factuel, le « choc des savoirs », qui s’avère être une remise en cause du collège unique, est une tentative de répondre, dans l’urgence, comme c’est souvent le cas dans l’éducation nationale, aux résultats de l’enquête internationale PISA. de 2023.
Pourtant, dès le 15 décembre 2007, déjà sur la base d’une enquête de Pise, Luc Cédelle, en Le mondecherche à attirer l’attention avec ce titre alarmant » Alerte au « niveau » scolaire « . Bien plus tôt, en 1997, dans un rapport destiné à Ségolène Royal, alors ministre chargée de l’enseignement scolaire, des « résultats inquiétants » étaient évoqués : » entre 21 et 42 % des élèves, au début du cycle III (entrée au CE2), semblent ne pas maîtriser le niveau minimum de compétences dites de base en lecture ou en calcul ou dans les deux domaines. Ils sont entre 21 et 35% à l’entrée au collège « . En réalité, si l’on remonte encore plus loin, on constate que la gauche, à peine arrivée au pouvoir en 1981, était déjà frappée par ces difficultés structurelles que dut gérer le ministre Alain Savary, liées à l’explosion des effectifs scolaires. dans le collège unique face à l’hétérogénéité des classes C’est dans ce contexte de crise systémique au collège que le gouvernement socialiste commande en urgence en 1981 un rapport à Louis Legrand, notamment directeur de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), qui a alors fait l’objet d’une concertation entre acteurs institutionnels, parents d’élèves, syndicats à l’heure où la gauche est encore capable de trouver de véritables relais dans les milieux syndicaux et éducatifs.
L’un des échecs du collège unique serait le « choix » d’enseignants disciplinaires et non polyvalents comme dans les écoles primaires. Pour quoi ?
Le collège unique est une réponse politique ambitieuse dans un contexte de démocratisation éducative sans précédent où la scolarité obligatoire a été étendue de 14 à 16 ans, tout en supprimant des filières, notamment à la fin de la cinquième année. Il ne faut pas oublier que le collège unique a fait l’objet d’un consensus dans le débat politique avant d’être remis en question au début des années 1980.
Au-delà de la question de l’hétérogénéité qui se pose très vite, il a fallu d’abord traiter de la massification scolaire en trouvant des enseignants au pied levé… Il existe alors un vivier potentiel dans l’enseignement primaire dans lequel un enseignement secondaire avec des écoles primaires supérieures (EPS) ou des cours complémentaires dont les cours sont dispensés par… des professeurs avec des méthodes primaires et donc le principe de bivalence et d’encadrement plus personnalisé. Se pose alors une question qui divise les spécialistes : le collège est-il un prolongement de l’école primaire ou une préparation au modèle d’enseignement secondaire du lycée tel qu’il s’est façonné depuis le XIXe siècle ?e siècle ?
Au lieu de fluidifier le système éducatif en développant un enseignement polyvalent au collège avec le personnel, la pédagogie et le savoir-faire du primaire, on a eu tendance à restreindre le collège en le réservant à des enseignants spécialisés dans l’enseignement d’une discipline dès le secondaire. école. Symptomatiquement, les enseignants des collèges d’enseignement général (PEGC), créés dans l’urgence du recrutement face à l’explosion scolaire et généralement issus des écoles primaires, et qui enseignaient le plus souvent deux matières, ont finalement disparu en 1986. La tradition pédagogique de l’école primaire et la bivalence, bien qu’envisagée dans de nombreux projets de réforme du collège avortés depuis 1981, recule face à l’enseignement du professeur diplômé ou associé du secondaire qui n’enseigne qu’une seule matière.
Vous soulignez le manque de soutien des enseignants envers les élèves français – en comparaison avec leurs pairs des pays de l’OCDE. Est-ce la conséquence de ce choix ?
En effet, depuis 2001 dans une approche comparative internationale, les enquêtes PISA ont pointé à plusieurs reprises la difficulté de compréhension des consignes, le manque de confiance des élèves français, la faible motivation et le manque de persévérance car, au final, nos élèves préfèrent ne pas répondre. une question plutôt que de se tromper…
Même s’il n’y a jamais de solutions miracles en éducation, disons que, visiblement, la secondaireisation du collège n’a pas facilité la scolarisation des élèves qui n’avaient pas les codes académiques. Par ailleurs, dès 1981, le rapport Louis Legrand, évoqué plus haut, préconisait des mesures plus solidaires : l’aménagement dans les classes de sixième et cinquième d’un temps de travail en groupes d’élèves de niveaux hétérogènes et d’un temps en groupes de même niveau, le renforcement des liens entre les et collèges pour faciliter le passage en sixième, l’importance de l’évaluation formative plutôt que sommative, l’allongement de la durée de présence des enseignants au collège ayant des missions autres que l’enseignement, la mise en place d’un tutorat pour aider les élèves dans leur travail et leur vie scolaire et renforcer le travail d’équipe pédagogique et multidisciplinaire.
C’est finalement plus une question politique qu’éducative. Comment l’expliquer ?
C’est une question très politique qui tient à plusieurs facteurs largement hérités de notre histoire éducative qui est souvent parasitée voire empêchée par des postures idéologiques entre les défenseurs d’une école républicaine et méritocratique centrée sur la transmission des savoirs ou les défenseurs des « pédagogues ». .
La question du soutien scolaire ou du tutorat est un serpent de mer dans de nombreux rapports depuis le rapport Legrand. Comme le travail collectif, aussi appelé concertation entre enseignants, il doit être intégré dans l’emploi du temps, même si la conception du métier reste plutôt très individualiste. Souvent perçue ou considérée comme un coin ancré dans l’essence même de la fonction qui est de transmettre, la vision collective, sauf dans certains établissements de type éducation prioritaire, n’est pas dans la culture du monde enseignant. Il s’agirait plutôt, comme le mentionnent Philippe Champy et Roger-François Gauthier, d’une révolution des mentalités afin de « repenser les savoirs enseignés » (dans le livre Contre l’école injuste !) afin de ne pas réduire l’étudiant à une seule discipline. C’est déjà le cas dans d’autres pays européens, dont les systèmes s’appuient davantage sur un travail collectif, basé sur des compétences à acquérir, afin de rendre plus compréhensibles les attentes des enseignants auprès des élèves et des parents désireux de les aider. et ainsi réduire cette anxiété des étudiants français constatée dans les enquêtes Pisa.
La réforme du recrutement des enseignants en proposant, comme le souhaitent Emmanuel Macron et Gabriel Attal, une formation post-bac, professionnalisante dans l’esprit des anciennes Ecoles normales, les « écoles normales supérieures » (ENSP) semble réactiver le débat, sur la primaire de l’enseignement. envisagée au détriment de l’université.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda