A Dresde, Emmanuel Macron appelle à « se réveiller » face au « mauvais vent » d’extrême droite « qui souffle sur l’Europe » – Libération
En visite d’État outre-Rhin ce lundi 27 mai, le président de la République a notamment alerté sur le « moment illibéral que nous vivons », dans un discours prononcé devant les jeunes Européens.
Macron ne pouvait pas trouver de meilleur symbole pour parler aux Allemands « Des démocraties en crise » : l’église Notre-Dame de Dresde, en Saxe, à la fois lieu de mémoire et instrument de propagande de l’extrême droite. « C’est un symbole de paix, de réconciliation et de reconstructionrésume Hans Vorländer, politologue de l’Université de Dresde. La Saxe (la région) est aussi un symbole de la division de la société allemande et de la radicalisation de l’extrême droite.»
Face à une foule rassemblée sur la place Neumarkt sous un soleil radieux, le président de la République a réitéré son message d’avertissement adressé la veille à Berlin : « L’Europe peut mourir !il a insisté. Regardons autour de nous la fascination pour les régimes autoritaires, regardons autour de nous le moment antilibéral que nous vivons.» Alors que le Rassemblement national est en tête des sondages en France et que le Parlement de Strasbourg a toutes les chances de pencher très à droite jusqu’en 2029, Macron continue de mettre en garde : « L’extrême droite, ce mauvais vent souffle sur l’Europe, c’est une réalité, alors réveillons-nous ! »
Dans une version plus courte, en partie en allemand, de son discours à la Sorbonne, il a insisté – sans être très entendu par ses homologues des autres chancelleries – pour que les 27 acceptent de « construire un nouveau paradigme de croissance pour les générations à venir » Et « assumer pleinement (r)les investissements massifs dans le climat et la décarbonation de nos économies ». Il a également rappelé le « Moment sans précédent dans l’histoire » dans lequel l’Europe se trouve face à une Russie qui « sera là demain, après-demain ».
Le révisionnisme de l’AfD
Le président a ainsi consacré près de la moitié de ce discours – peu adapté à ce jeune public – à la défense européenne, utilisant l’église Notre-Dame comme symbole de vigilance. La « Frauenkirche » était encore en ruine lors de la chute du Mur en 1989, avant d’être reconstruite en 1994 grâce aux dons du monde entier, notamment de l’Angleterre et des États-Unis, dont les bombes avaient rasé le centre historique de Dresde le 13 février et 14, 1945.
Chaque année, les néo-nazis dénoncent lors des commémorations un « Holocauste des bombes » et défiler dans les rues de Dresde pour tenter de « Histoire inversée ». Pour minimiser la responsabilité du pays dans l’Holocauste, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) s’est lancé dans une stratégie révisionniste. Le bombardement de Dresde a fait « au moins 100 000 morts »assure Tino Chrupalla, le coprésident de l’AfD, qui s’appuie sur « témoins oculaires ». « Ma grand-mère, mon père et d’autres témoins m’ont décrit des montagnes de cadavres. Personne ne croit à ce chiffre (estimé par les historiens) de 25 000. »il dit.
Björn Höcke, leader idéologue et patron de l’AfD en Thuringe, a appelé au changement « 180 degrés » de politique mémorielle en s’attaquant au Mémorial aux Juifs assassinés en Europe auquel Emmanuel Macron a rendu hommage lundi matin à Berlin. « Nous sommes le seul peuple à avoir érigé un mémorial de la honte au cœur de sa capitale »il a dit.
Pénurie de main d’œuvre
Sur ces terres de Saxe, le « fascination pour l’autoritarisme » ce dont parle Macron est réel. Nulle part ailleurs l’AfD n’est aussi forte que dans cette région frontalière avec la République tchèque et la Pologne. Le mouvement anti-immigration Pegida est né ici à Dresde en 2014, à une époque où la Saxe se croyait encore « immunitaire » contre l’extrême droite, selon les mots de l’ancien ministre-président conservateur Kurt Biedenkopf.
Presque tous les lundis, les héritiers de ce mouvement islamophobe et antidémocratique défilent à quelques centaines de mètres du podium sur lequel Macron a convoqué ce lundi. « ne pas prendre de mauvaises décisions » deux semaines avant les élections européennes. Dans ce Land, l’extrême droite est la plus radicale et la plus populaire d’Allemagne. Elle arrive toujours en tête des sondages pour les élections régionales d’automne avec 34% (+7 points par rapport à 2019) devant les conservateurs (30%) et le SPD du chancelier Olaf Scholz avec… 6%.
La perspective d’un rachat par l’extrême droite affole le « Silicon Saxony » – le plus grand cluster de microélectronique d’Europe – qui regroupe Bosch, Infineon et le taïwanais TSMC, des entreprises de haute technologie. Ils doivent embaucher des dizaines de milliers d’étrangers pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre.
Tout comme le basculement de la jeunesse allemande vers l’extrême droite est inquiétant. « Le niveau de soutien chez les 18-25 ans est relativement fort avec des intentions de vote dépassant les 30 %. Le phénomène ne se limite pas à la seule Saxe., insiste Hans Vorländer. Une étude publiée fin avril révèle un net virage à droite chez les 14-29 ans, avec 22% des voix pour l’AfD, un taux qui a presque doublé par rapport à l’enquête de l’année précédente. « La grande question pour tous les acteurs de la société est de savoir comment enthousiasmer les jeunes et les impliquer dans les processus de changement », estime Simon Schnetzer, l’auteur de cette étude. Emmanuel Macron, avant de se rendre à Münster ce mardi pour recevoir un « Prix international de Westphalie pour la paix » et revenir à Berlin pour un conseil des ministres franco-allemand, aura au moins tenté de le faire à Dresde.
Mis à jour à 21h33 avec le reportage de notre correspondant.