Pourquoi les failles du Starlink « essentiel » d’Elon Musk inquiètent-elles Kiev ?
Il ne vous manque qu’un seul réseau de télécommunications et une armée entière est aveuglée… Quelques semaines après l’invasion russe de février 2022, SpaceX a inondé l’Ukraine de terminaux Starlink, soit au total plus de 42 000 selon l’agence. New York Times, pour assurer une connexion Internet transparente aux forces ukrainiennes. L’armée ukrainienne s’appuie depuis fortement sur ce réseau, qui fonctionne grâce à une constellation de satellites en orbite à basse altitude. Mais le 10 mai au matin, au début de l’offensive russe sur la région de Kharkiv, le système semble avoir échoué.
Selon le commandant d’une unité de drones stationnée dans la région de Kharkiv et interrogé par le Washington Post, Les communications Starlink ont été complètement coupées. Or, le réseau « est une technologie clé indispensable à la conduite de la guerre moderne », réagit Johanna Möhring. Il permet notamment « le partage d’images de drones en temps réel (ou) la communication dans les zones où les combats ont interrompu les services de téléphonie mobile », précise le chercheur au Centre d’études avancées de sécurité, de stratégie et d’intégration (Cassis) de l’université de Bonn.
Une armée sans « système nerveux »
« Si on n’a plus de connexion, c’est beaucoup plus compliqué d’agir sur le terrain. C’est comme le système nerveux : on peut avoir le meilleur cerveau ou les meilleurs muscles, si tout ça ne communique pas, rien ne fonctionne », illustre Cédric Mas, historien militaire et spécialiste des conflits. Ce n’est pas la première fois que Kiev pointe du doigt le réseau de communication d’Elon Musk. « Les Ukrainiens se sont déjà plaints de coupures lors de la bataille de Bakhmout », rappelle Cédric Mas, qui précise toutefois que ces accusations doivent être prises avec prudence. Non seulement SpaceX ne les a jamais confirmés, mais en plus « certaines déclarations peuvent effectivement servir d’excuses car il est plus facile d’accuser l’outil » que sa stratégie militaire, glisse l’historien militaire.
Que ces allégations soient fondées ou non, « l’Ukraine se trouve dans une situation délicate » car elle est « dépendante d’une entreprise privée étrangère », estime Johanna Möhring. « On se souvient des propos inquiétants d’Elon Musk en 2022 qui disait vouloir couper l’accès à ces services si l’Ukraine attaquait des cibles en Russie », glisse-t-elle. Dans une biographie consacrée au milliardaire et publiée en septembre 2023, ce dernier a également reconnu avoir secrètement ordonné à ses ingénieurs de désactiver Starlink afin d’empêcher une attaque de Kiev sur la flotte russe.
Entre marché noir et milliardaire imprévisible
La position du milliardaire américain a toujours été ambiguë. En février dernier, il estimait sur le réseau social X qu’il n’y avait « aucune chance » que Vladimir Poutine perde la guerre. Dans le même temps, les renseignements ukrainiens l’accusaient d’avoir livré le système Starlink à Moscou. Elon Musk a démenti cette information et le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a répondu de manière énigmatique qu’il s’agissait d’un « système non certifié » qui n’était « pas officiellement fourni ». Mais pour Johanna Möhring, « les forces russes se sont procurées des terminaux Starlink au marché noir et continuent de les acheter. » Par ailleurs, « le Pentagone et SpaceX tentent actuellement de trouver des solutions », assure-t-elle.
« On a l’image d’une armée russe très corsetée mais les soldats russes demandent aussi à la population de les soutenir en achetant du matériel. Il est possible que des unités aient récupéré des terminaux Starlink de cette façon », précise Cédric Mas. Certains ont également été récupérés lors de l’avancée des forces russes. L’immense réseau, présenté par le ministre ukrainien du Numérique en juillet 2023 comme « le sang qui coule dans nos infrastructures de communication », au New York Times, Cela semble devenir une épine dans le pied de Kiev. Ou, du moins, une ombre menaçante qui, selon Johanna Möhring, devrait « donner des arguments » au projet de l’Union européenne « d’investir dans son propre système satellitaire IRIS2 » à des fins d’indépendance, notamment militaire.