À quoi ressemblerait une Europe dominée par l’extrême droite ?
Ce n’est plus une surprise ni un épiphénomène : l’extrême droite est largement favorite aux élections européennes en France, le RN étant crédité d’environ 30% des intentions de vote. Alors que les Français envoient le deuxième plus grand contingent de députés européens au Parlement européen, la possibilité d’un grand groupe d’extrême droite à Strasbourg augmente. D’autant qu’ailleurs en Europe, cette partie de l’échiquier politique est également en hausse.
Moins de trois semaines avant les élections, 20 minutes merveilles. Quels pays pourraient également envoyer de nombreux députés d’extrême droite au Parlement européen ? Une victoire de l’extrême droite à l’échelle européenne est-elle alors possible ? Et à quoi ressemblerait une UE dominée par des droits radicaux traditionnellement europhobes ?
Dans quels pays l’extrême droite est-elle en position de force ?
« Il y a des droits radicaux un peu partout », résume d’emblée Benjamin Tainturier, doctorant au Medialab de Sciences Po. En Italie, le parti postfasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni est au pouvoir. Idem aux Pays-Bas, où le Parti de la Liberté de Geert Wilders vient de parvenir à un accord de coalition pour gouverner. Chez son voisin belge, « le Vlaams Belang se renforce par rapport au scrutin précédent », et se retrouve parfois donné en tête, indique Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie à l’Institut français de géopolitique et chercheuse associée à l’IAE de Poitiers.
Au Portugal, le parti antisystème Chega a fait une percée lors des dernières élections législatives, devenant la troisième force politique d’un pays longtemps « immunisé » contre l’extrême droite. « Sans parler de l’Europe de l’Est, où c’est moins nouveau avec le Droit et la Justice en Pologne, la Hongrie de Viktor Orban… », ajoute Benjamin Tainturier.
Toutefois, « il existe des exceptions comme Malte, Chypre, l’Irlande, le Luxembourg », où l’extrême droite est marginale, note Anaïs Voy-Gillis. Mais ces pays ont peu de poids à Strasbourg. Reste le cas de l’Espagne, où « Vox a subi un revers important aux législatives parce qu’ils n’ont pas réussi à trouver un accord avec le PP », souligne Benjamin Tainturier. L’entrée du parti en campagne a toujours été « suivie par Marine Le Pen, Viktor Orban et des personnalités du Likoud », le parti de Benjamin Netanyahu en Israël, et s’est déroulée en présence de Javier Milei, le président argentin. anti-système.
Enfin, l’AfD est régulièrement citée comme la deuxième ou la troisième force en Allemagne, mais sa campagne est perturbée. Le parti a sanctionné sa tête de liste, Maximilien Krah, qui considérait récemment qu’un SS n’était « pas automatiquement un criminel », ce qui a conduit le RN à rompre l’alliance entre les deux partis.
Une victoire de l’extrême droite au niveau européen est-elle possible ?
Au vu de cette dynamique, « évidemment, une victoire de la droite radicale est possible », estime Benjamin Tainturier. Anaïs Voy-Gillis fait le calcul : « les Conservateurs et Réformistes européens (CRE) avaient 68 députés dans 18 pays, ils pouvaient monter entre 80 et 85. De son côté, Identité et Démocratie (ID) comptait 59 députés issus de 6 pays. , ils pourraient être entre 80 et 90 demain. Ajoutons le Fidesz de Viktor Orban, dont les 12 élus actuels font partie du groupe des non-inscrits. Une poussée forte donc, mais loin de la majorité absolue, établie à 353 sièges. « L’enjeu, c’est le rapprochement avec le PPE (actuellement premier parti au Parlement, centre-droit), analyse le géographe et géopolitologue.
« Mais la grande question est la fragmentation des droites radicales sur deux aspects : la relation avec la Russie et l’économie », souligne Benjamin Tainturier. Du côté d’Identité et Démocratie, le RN de Marine Le Pen se montre très réservé sur le soutien à l’Ukraine, tandis que Giorgia Meloni, dont le parti est membre de la CRE, s’engage résolument aux côtés de Kiev. Le même CRE, « plus libéral-conservateur et atlantiste plus affirmé », est aussi perçu comme « plus sympathique ».
« Le RN a rompu avec l’AfD, c’est un point important », poursuit Benjamin Tainturier. L’AfD a également été exclue du groupe ID ce jeudi. « Le RN doit son succès à sa normalisation, et se désolidariser de l’AfD est une énième démonstration en ce sens », selon lui. Il pointe également « une division nette entre l’agenda national et l’agenda européen des partis », qui « soulève des questions sur leur capacité à travailler ensemble ». L’avenir du groupe ID est remis en question : « il faut des élus d’au moins six pays pour former un groupe », rappelle-t-il. D’autant que l’ancien patron du RN et le Premier ministre italien ont récemment esquissé un futur rapprochement.
À quoi ressemblerait une Europe dominée par des partis qui la rejettent ?
Supposons un instant que les partis d’extrême droite, ID et CRE unis, gagnent le 9 juin et occupent suffisamment de sièges pour au moins diriger une coalition. Que deviendrait alors l’UE avec à sa tête des partis parfois europhobes ? Anaïs Voy-Gillis anticipe des changements de direction « sur le accord vert, mais aussi sur les politiques communes telles que la concurrence et l’immigration. Loin de signifier la fin de l’Europe, une victoire des droites radicales serait plutôt synonyme d’une UE repliée sur elle-même, retranchée derrière ses frontières.
Le premier changement porterait « sur les éléments de langage, sur la définition de l’Europe », estime Benjamin Tainturier. En cas de succès, il ne sera plus question de « viser l’Europe de Bruxelles » ni de parler de sortie de l’UE ; l’idée sera de « proposer une autre Europe, de mettre l’accent sur les racines chrétiennes et de se présenter comme un berceau de civilisation ». Un discours déjà prononcé par Eric Zemmour et d’autres, qui veulent « passer d’un idéal de cosmopolitisme à une forme de régionalisme ». En ce sens, « l’AfD a déjà un projet de remigration, qu’Eric Zemmour pourrait également porter » mais pas le RN, selon l’expert.
La priorité de cette extrême droite européenne au pouvoir serait plus généralement « d’assurer la souveraineté régionale et de défendre l’idée que l’Europe doit être un acteur politique de premier plan ». Pas si europhobe que ça, finalement.