« Un certain nombre de rédactions sont hypnotisées par le discours de propagande russe »
Il existe en France d’excellents journalistes et des chaînes d’information en continu qui cherchent à éclairer du mieux qu’ils peuvent l’actualité quotidienne, avec intelligence et ténacité. Mais visiblement, un grand nombre de rédactions n’ont pas encore compris que le discours de propagande ne peut pas être traité de la même manière que l’information traditionnelle, et encore moins en temps de guerre.
Commençons par rappeler que, malgré les discours rassurants répandus en France, la Russie mène une guerre hybride contre l’Occident démocratique. Il suffit de rappeler les centaines de cyberattaques menées contre la France par des entités russes, les manœuvres de désinformation explicites fabriquées à Moscou qui affectent notre territoire, ou encore les tentatives avérées, financées par les services secrets russes, de semer la discorde dans le pays. au sein de l’opinion publique menée sur le territoire français.
Propagande russe
Mais dans le même temps, on constate qu’un certain nombre de rédactions sont hypnotisées par le discours de propagande russe. Il suffit de brancher sa télévision pour découvrir, stupéfait, qu’à certains moments, tout ce qui est dit, ce sont les propos des propagandistes russes ou les dernières déclarations du président Poutine. Il suffit que le président russe fronce les sourcils et menace de lancer la bombe atomique sur les pays européens pour que la rédaction se sente immédiatement obligée de commenter ces propos en mettant en pratique les principes démocratiques de la pluralité des opinions (avec toujours un bémol en moins) pacifiste » expliquant que la France ne doit pas s’inquiéter de ce conflit lointain).
A l’inverse, quand Poutine prétend être dix fois moins puissant que les pays de l’OTAN, nous parlons sans cesse pour reconnaître que le président russe n’a pas tort, que nos problèmes viennent de nos dirigeants irresponsables (à commencer bien sûr par la guerre à la TVA des Américains). ) et que nous ferions mieux de nous inquiéter de nos déficits publics. Je gagne face, tu perds face !
Une fascination morbide
Cette naïveté impuissante face à la propagande russe se double dans certains cas d’une fascination morbide pour les discours apocalyptiques. On est bien sûr conscient des intérêts commerciaux des chaînes privées, qui trouvent leurs ressources dans la publicité, et qui pour attirer les audiences n’hésitent pas à affoler la population, parfois jusqu’à l’étonnement. Mais il existe également, comme facteur explicatif encore plus troublant, un malaise nettement post-moderne de la culture amnésique qui s’exprime à travers les « informations continues ».
Puisque la vérité est un mot devenu bien trop grand pour notre génération post-nietzschéenne, nous voulons seulement connaître « l’actualité » à travers le kaléidoscope des « commentaires ». On ne peut donc plus analyser les événements dans le temps. On tombe alors dans une immédiateté présentiste incapable de fournir des clés explicatives pertinentes. Enfin, dans certains cas, avouons-le, il y a la fascination pour le grand méchant loup encore capable de nous faire frissonner de peur. Nous invitons des propagandistes professionnels. Incapables de réagir face à des professionnels du mensonge – capables de proférer trois contre-vérités dans une même phrase – nous déroulons alors un tapis rouge à l’ennemi.
Certes, on aura contredit un argument sur trois et, pour se donner bonne conscience, on se dit que c’est déjà acquis. Mais la réalité est que l’opinion publique, qui ne dispose pas des outils qui lui permettraient de décrypter les techniques de manipulation, souvent sophistiquées, panique. De plus en plus inquiets, certains se laissent séduire par ces discours de propagande nous proposant insidieusement de nous débarrasser de notre conscience.
Des foules hypnotisées
La rédaction incriminée se justifie en expliquant faire appel à des experts pour déconstruire les fausses déclarations. Le problème ici encore est que le support est le message. Pour expliquer en quelques mots cette brillante phrase de McLuhan à notre époque de surmédiation, on peut utiliser une image : brûler une forêt prend quelques minutes, tandis que la faire repousser prend des décennies. C’est à peu près le même phénomène lorsque toutes les chaînes de télévision françaises répètent sans cesse que la simulation d’élections qui se déroule en Russie est bien une élection.
En fait, il est pratiquement impossible, même pour les meilleurs experts de la Russie, de se rendre compte des ravages causés aux foules hypnotisées. On a beau expliquer que cette pseudo-élection n’est qu’un vaste village Potemkine, sans opposition ni médias indépendants. Rappelons que le Kremlin est devenu une structure mafieuse dont le principal intérêt est de terroriser sa propre population et de semer le chaos à l’étranger. L’expertise en question sera «invisibilisée». Car, finalement, l’objectif de cette nouvelle « opération spéciale » Une des raisons de la propagande russe, relayée par certains de nos médias complaisants, est que l’opinion publique reconnaît… le nouveau « couronnement de Poutine ».
Protégez la vérité
Il me semble que le moment est venu pour un certain nombre de journalistes et de directeurs de rédaction en France de faire un choix éthique. Soit on accepte de reconnaître les limites actuelles de l’absence de facto d’une véritable éthique capable de combattre efficacement la propagande en temps de guerre hybride. Dans ce cas, nous nous armons en conséquence pour protéger la vérité, en partant des recommandations de Reporters sans frontières (voir la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie) et en nous appuyant sur les meilleurs spécialistes de l’écologie de l’information.
En l’occurrence, le travail d’Yves Citton, qui à travers son écosophie de l’attention propose de nous faire prendre conscience des failles actuelles de nos systèmes d’information, constitue une véritable ressource. Son écologie de l’information fournit également des indications pour équilibrer les quatre principales formes de captation de l’attention humaine (immersion, projection, alerte et fidélité). Il s’agit, pour résumer, d’introduire du rationnel dans l’émotionnel, mais aussi de la verticalité, de la vertu, bref, dans le flux informationnel.
Ou, à l’inverse, nous décidons de baisser les yeux. Nous continuons à générer des revenus publicitaires. Nous légitimons le régime informationnel actuel et son utilisation, dans certaines de ses productions, de techniques d’hystérisation et de bêtise collective. Mais nous devons reconnaître que nous contribuons ainsi à la montée des extrêmes antidémocratiques. Et il faut alors se préparer à accueillir la bête chez elle.