Dette française : pourquoi cette « faveur » des agences de notation ?
Nous pouvons continuer à nous endetter pour payer nos dettes, sans que cela nous coûte plus cher. C’est crucial car Bercy doit placer, cette année, 285 milliards de bons du Trésor (OAT) pour « rouler » la dette, soit régler la partie contractuellement remise aux marchés tous les sept ans. À quoi doit-on cette « faveur » des agences de notation américaines dont l’exécutif redoutait la condamnation ?
En fait, il semble que l’influence des trois sorcières, Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, peuplées d’analystes qui passent nos données au peigne fin, s’estompe. Dans la vraie vie, les marchés de la dette se font leur propre opinion et sont les seuls juges de leurs décisions. Cependant, ils ont été informés comme tout le monde de notre contre-performance. Et nous avons constaté depuis que le coût de nos emprunts était resté stable et que le fameux « spread », l’écart entre les taux d’intérêt appliqués à l’Allemagne (pays de référence de l’euro) et à la France, ne s’était pas aggravé.
La France reste un bon risque
Pour les institutions financières et les acteurs qui financent nos fins de mois, la dette de la France reste donc un excellent investissement. On ne sait pas si le printemps va durer. Mais l’indulgence des agences de notation tient au choix de coller à la réalité des marchés qui fonctionnent selon leur propre modèle de risque.
Pourquoi la France obtient-elle un sursis bénéfique auprès des juges financiers des Etats-Unis ? Déficits, dette… Notre pays est pourtant en retard économiquement par rapport à la zone euro, en plus d’être politiquement essoufflé. Ceci ne joue objectivement pas en sa faveur. « Peut-être », dit, désillusionné, un proche de Le Maire, « mais quand je me compare, je me console », dit-il en référence à une Italie en crise, malgré les 190 milliards d’aide européenne. Référence également à l’Allemagne, proche de la récession. Au Royaume-Uni, hors UE, qui ne cesse de régurgiter le Brexit. Dans les pays baltes, sous la menace du Kremlin. Au conflit en Ukraine.
Les agences misent sur la reprise
Engagées à relativiser les critiques contre « l’échec de la politique du panier », les équipes du Président reprennent l’antienne du manque de croissance réparti dans toute l’Europe. L’argument est discutable, ne serait-ce que parce qu’il ne faut pas compter uniquement sur la croissance pour réduire les déficits. Mais, bons princes, Fitch et Moody’s considèrent que la dégradation de nos finances est plus ou moins liée à la morosité économique. Les agences semblent, finalement, miser sur une reprise en 2025/2026, avec ses dividendes.
Ils parient de facto que le même président Macron, qui affiche sa volonté de penser stratégiquement pour l’avenir de l’Europe, devra faire preuve de violence et regagner du crédit politique sur le continent. Comment ? En adoptant un agenda budgétaire qui ne nous ramènera certainement pas sous les 3% de déficits en 2027. Mais qui, en l’absence d’une rigueur absente du discours présidentiel, nous placerait sur une trajectoire de maîtrise des dépenses. Vœu pieux? La France ne peut plus délibérément tirer sur la corde. Standard & Poor’s, la troisième agence de notation, réputée plus sévère que les deux autres, serait encline à nous le rappeler dans un mois.
Premier poste de dépense
Après sept années de laxisme au pouvoir et 1 000 milliards de dettes cumulées, le doute est permis. Le service de la dette devient le premier poste budgétaire de l’État, devant l’Éducation nationale… Nos marges d’investissement sont nulles. Pourtant, contrairement aux établissements outre-Rhin, nos banques commerciales sont parmi les plus robustes du continent. Cela compte pour les analystes. Il y a aussi le fait que le pécule des Français regorge d’épargne de précaution. Beaucoup d’argent dans les livres, ce qui signifie, à l’inverse, méfiance ou peu de confiance. Et puis, avec l’inflation calmée, une première baisse des taux directeurs de la BCE se profile. Evidemment favorable à la consommation, ce sera un peu d’oxygène pour l’immobilier en crise.
Restons prudents : la politique monétaire pilotée depuis Francfort est une chose, le comportement des investisseurs en est une autre. Ils sauront rappeler, s’il le faut, que ce sont les primes de risque pratiquées sur les marchés qui déterminent le prix de la dette.
Un bon geste politique
De l’Élysée à Matignon en passant par Bercy, on pousse un grand ouf de soulagement. La clémence des agences apaise les esprits mécontents à Landerneau. Elle donne un zeste de crédit à Bruno Le Maire, sur la sellette. Le Premier ministre aurait certainement subi un coup dur pour les finances publiques. Il s’en sort. Préserve son capital image.
Dans la sinusoïde des élections européennes où sa tête de liste, Valérie Hayer, est en difficulté, Emmanuel Macron échappe au scénario d’un procès pour incompétence que lui promettait le duo Le Pen/Bardella. Il esquive les pattes de Ciotti, Retailleau, Bellamy de la même manière. Pour le RN et LR, la perspective d’une motion de censure sur fond de « débâcle » de nos finances publiques vient de passer entre les mailles du filet. Vendredi soir, les agences américaines ont rendu un immense, immense service politique au camp Macron.