Nouvelles locales

pourquoi l’appel téléphonique d’Olaf Scholz à Vladimir Poutine irrite-t-il Kiev ?

Volodymyr Zelensky accuse la chancelière allemande de tentative d’apaisement et craint que ce contact n’ouvre la voie à d’autres échanges entre dirigeants occidentaux et russes.

Publié


Temps de lecture : 6min

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky le 7 novembre 2024 à Budapest (Hongrie). (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

Un coup de téléphone très symbolique. Le chancelier allemand Olaf Scholz et son homologue russe Vladimir Poutine se sont entretenus au téléphone, vendredi 15 novembre. Cela faisait deux ans que la ligne était coupée entre Berlin et Moscou. Le dirigeant allemand a demandé au président russe de retirer ses troupes d’Ukraine et de négocier avec Kiev. Vladimir Poutine a répondu qu’un accord de paix devrait tenir compte des « nouvelles réalités territoriales ».

Cet échange a provoqué la colère de l’Ukraine, qui y voyait un « une tentative d’apaisement » vers Moscou. « Les conversations avec le dictateur russe à elles seules n’apportent pas de valeur ajoutée à la réalisation d’une paix juste »a réagi le porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Georgii Tykhy. Au lieu de cela, Kyiv préconise « des actions concrètes et fortes » pour forcer la Russie à la paix. Pourquoi cet entretien téléphonique irrite-t-il, voire inquiète-t-il l’Ukraine ? Franceinfo fait le point sur les raisons de la discorde.

Car Volodymyr Zelensky s’inquiète de la baisse de l’aide occidentale

Cet entretien téléphonique intervient au moment où l’Ukraine craint que l’aide occidentale, et notamment américaine, soit coupée. Donald Trump, nouvellement élu à la tête des États-Unis, n’a cessé de critiquer le soutien militaire et financier apporté à l’Ukraine par Joe Biden, et son vice-président, JD Vance, s’y montre également hostile.

Cette ouverture du dialogue avec Vladimir Poutine « fait craindre à Volodymyr Zelensky que la politique allemande ne suive la position de Donald Trump telle que nous l’imaginons »c’est-à-dire une réduction de l’aide militaire à Kiev, argumente Carole Grimaud, spécialiste de géopolitique russe et enseignante à l’université de Montpellier. D’autant plus que « L’Ukraine considère l’Allemagne comme un leader en Europe »ajoute-t-elle. Berlin est le plus grand fournisseur européen d’aide financière à l’Ukraine, selon les données de l’Institut de Kiel.

Olaf Scholz suit également un agenda politique, alors que sa coalition gouvernementale a été brisée, conduisant le pays à des élections anticipées le 23 février. « L’Allemagne est divisée sur l’aide à l’Ukraine »explique Carole Grimaud, qui en fait un enjeu de campagne.

Parce qu’il craint que les dirigeants occidentaux n’ouvrent à leur tour le dialogue

En s’adressant au chef du Kremlin, Olaf Scholz a rompu avec la ligne tenue jusqu’ici par les dirigeants occidentaux, qui refusaient depuis plus de deux ans de s’asseoir à la table de Vladimir Poutine. Volodymyr Zelensky craint que cet appel« ouvre la boîte de Pandore ». « Il se peut qu’il y ait désormais d’autres conversations et appels téléphoniques. Et c’est précisément ce qui (Vladimir) Poutine cherche depuis longtemps »a fustigé le président ukrainien dans une vidéo publiée vendredi sur X et Telegram.

« Il est essentiel qu’il rompe son isolement, ainsi que celui de la Russie. »

Volodymyr Zelenski

dans une vidéo publiée sur X et Telegram

« Cet appel ne peut que confirmer la condamnation de (Vladimir) Poutine que l’Allemagne et d’autres pays européens rêvent de reprendre « le statu quo » à la première occasion, y compris en achetant du gaz à bas prix. »analyse Tatiana Kastouéva Jean, directrice du centre Russie Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri), avec le Monde. « Ce comportement du plus grand pays européen ne l’incitera pas à assouplir ses positions. » D’autant que, selon le Kremlin, l’appel a eu lieu « à l’initiative de la partie allemande ».

Les dirigeants occidentaux n’ont pas indiqué qu’ils suivraient les traces de leur homologue allemand. Et le Premier ministre polonais, Donald Tusk, s’est voulu rassurant dans un message publié sur X : « J’ai été heureux d’apprendre que la chancelière a non seulement condamné sans équivoque l’agression russe, mais a également réitéré la position polonaise : rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine. »

Mais pour Carole Grimaud, « si la posture européenne veut rester ferme et continuer à soutenir l’Ukraine, nous sommes conscients qu’après presque trois ans de guerre, l’Europe éprouve des difficultés à continuer à fournir une aide militaire ». De plus, « si plusieurs acteurs internationaux s’orientent vers une forme de négociation, il vaut mieux être parmi les Etats qui participeront (…) plutôt que de les regarder de l’extérieur », juge Florent Parmentier, secrétaire général du centre de recherches politiques de Sciences Po, à France 2.

Parce que l’Ukraine n’est pas en bonne position pour négocier

En dialoguant avec Vladimir Poutine, Olaf Scholz renforce sa position sur la voie diplomatique. La Chancelière allemande a demandé à la Russie de montrer son « volonté d’entamer des négociations avec l’Ukraine en vue d’une paix juste et durable »selon le gouvernement allemand. Cependant, l’Ukraine n’est pas dans de bonnes conditions pour d’éventuelles négociations.

« Kiev n’a pas réussi sa contre-offensive l’année dernière. Elle est aujourd’hui dans une position très fragile, car il y a moins d’hommes, moins de matériel… »

Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russe

sur franceinfo

Si Volodymyr Zelensky disait vouloir la fin de la guerre dans son pays en 2025 d’ici « moyens diplomatiques »il a également insisté sur le fait que« en position de faiblesse, il n’y a rien à faire dans ces négociations »dans une interview accordée au média ukrainien Suspilne, diffusée samedi. Interrogé sur les conditions nécessaires à l’ouverture des négociations, le dirigeant a estimé que cela ne serait possible que si «L’Ukraine n’était pas seule avec la Russie »dans un appel à ses partenaires occidentaux, et notamment à Donald Trump. Sans jamais préciser son projet, le républicain a affirmé à plusieurs reprises qu’il parviendrait à mettre un terme à l’invasion russe. « en moins de 24 heures ».

La Russie est ouverte aux négociations, mais avec « concessions » de la part de Kiev, notamment la cession des territoires ukrainiens annexés par Moscou en 2022. Volodymyr Zelensky s’y oppose et compte sur son occupation d’une partie de la région russe de Koursk pour peser à la table des négociations. Mais selon plusieurs observateurs, le Kremlin intensifie ses réponses face aux forces ukrainiennes. « Évacuer les Ukrainiens du territoire russe leur ferait perdre un avantage considérable au moment des négociations »estime Carole Grimaud.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
Bouton retour en haut de la page