« Il faut s’éloigner de la vision morale de l’addiction », plaide un médecin addictologue
Certains réclament sa démission, d’autres réclament la clémence. Le député de La France insoumise Andy Kerbrat a reconnu, dans un communiqué publié mardi 22 octobre, avoir été arrêté jeudi 17 octobre à Paris « en possession de drogue ». «J’assume pleinement ma responsabilité et me mets à la disposition de la justice»a écrit le député de Loire-Atlantique, évoquant « problèmes personnels et fragilités psychologiques » qui lui a fait consommer des drogues de synthèse. L’élu de 34 ans promet de « lutter contre cette addiction » et de «suivre un protocole de soins» ce qui lui permettra de reprendre son « activité parlementaire ».
Cette déclaration a suscité une réaction de la classe politique, de l’Assemblée nationale au gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a ainsi jugé que« ce n’est pas tolérable de voir un député de la République acheter des drogues de synthèse »considérant que le député devrait « tirer les conséquences ». A gauche, des députés ont apporté leur soutien à leur camarade. « Arrêtons d’être dans le déni et débarrassons-nous de la stigmatisation des consommateurs qui les empêche d’accéder aux soins »a écrit la députée écologiste Sandrine Rousseau sur X Mardi. Pour mieux comprendre les mécanismes de l’addiction dont souffrent plusieurs millions de Français, franceinfo a interrogé l’addictologue Hervé Martini, également secrétaire général de l’association Addictions France.
Franceinfo : Andy Kerbrat a reconnu avoir été contrôlé pour possession de drogue et a expliqué dans son communiqué qu' »au-delà de sa personne, l’addiction est un problème de santé publique et doit être traitée comme telle ». Que pensez-vous de sa réaction ?
Hervé Martini : Je suis totalement d’accord avec lui. L’addiction est un problème majeur de santé publique qui concerne les produits licites, comme le tabac ou l’alcool, mais aussi les produits illicites, comme le cannabis et les nouveaux produits de synthèse, dont le 3-MMC, évoqué dans cette affaire. Il a tout à fait raison de souligner ce problème.
Ces nouvelles drogues de synthèse font-elles l’objet d’une vigilance particulière ?
Oui, car depuis une dizaine d’années, on assiste à une multiplication de ces produits, distribués dans des lieux festifs auprès d’un jeune public. Ce sont des médicaments de pharmacie, faciles à produire en laboratoire, rapidement et à moindre coût. Ils représentent un réel danger, car ils vont littéralement accrocher le consommateur et peuvent créer une forte dépendance.
En matière de santé publique, que pourrait-on faire en France pour mieux soigner les addictions ?
Tout d’abord, nous devons en parler. Ce cas montre finalement ce qui arrive au quotidien pour les personnes dépendantes, qui ont besoin de ce type de produit pour se sentir bien et aller vers les autres. Elle montre aussi qu’il faut informer, prévenir et proposer des espaces d’accueil anonymes, gratuits et surtout sans jugement moral. Un autre enjeu est de donner aux associations les moyens de toucher les publics concernés. Lorsqu’ils prennent ce type de drogue, notamment dans un environnement festif, ils ignorent les risques encourus, notamment de malaise, d’arrêt cardiaque, voire de développer une addiction.
Après le communiqué du député, certains ont vu dans sa réponse une manière de « se trouver des excuses ». Que révèlent ces réactions sur le regard que la société porte sur les usagers de drogues ?
Nous devons nous éloigner de la vision morale de la dépendance. En tant que médecin addictologue, je ne juge pas mon patient. J’ai devant moi quelqu’un qui a des difficultés avec un produit, point barre. Qu’il s’agisse d’alcool, de tabac, de cannabis, de molécules de synthèse ou autre, le problème reste le même : celui d’une personne dépendante, qui ne peut s’en passer. En tant que professionnel de santé publique et de prévention, mon objectif est d’améliorer sa santé pour éviter qu’il ne sombre davantage dans la dépendance et, si possible, en sortir. Je ne peux avoir aucun jugement.
Pourquoi est-il important de changer notre regard sur la dépendance ?
Il est très important de ne pas criminaliser les consommateurs de drogues. Si nous leur faisons honte, ces 10 millions de personnes se cacheront et ne chercheront pas à se faire soigner. Or, ce sont des malades qui ont besoin de soins, et l’addiction est une maladie pour laquelle il existe un traitement et qui peut être prise en charge par des équipes multidisciplinaires. On le voit bien au-delà du cas de ce député.
« Prenons l’exemple de l’alcool, qui est une drogue totalement légale, qui reste largement taboue. Personne ne veut dire qu’il est alcoolique ou qu’il a un problème d’alcool. Il faut vraiment changer cela. perspectives. »
Hervé Martini, addictologuesur franceinfo
Jean-Luc Mélenchon a exprimé son soutien à Andy Kerbrat en affirmant sur X que « la lutte contre les producteurs et les trafiquants serait plus utile et respectable » que les critiques adressées à l’élu. Que pensez-vous de cette déclaration ? ?
Quand on parle d’addiction, on marche sur deux pieds. D’un côté, il y a l’aspect sanction, avec la loi, qui a été votée et qui doit s’appliquer à tout le monde. Mais on ne peut pas compter uniquement sur cet aspect répressif pour aider ces personnes à s’en sortir. C’est pourquoi nous avons besoin d’un deuxième pied : celui de la prévention, des soins et de l’accompagnement, qui sont tout aussi importants que les sanctions pénales.
Nous pouvons faire la guerre et engager des milliards contre le trafic de drogue, mais cela ne résoudra jamais les problèmes de toxicomanie. Ce combat est nécessaire, mais il ne peut pas être la seule réponse à ce problème.
Hervé Martini, addictologuesur franceinfo
Le député insoumis a affirmé être « engagé dans un parcours de soins ». En quoi cela consiste-t-il ?
Généralement, il s’agit de rencontrer un médecin avec une équipe multidisciplinaire. Cela peut se faire à l’hôpital ou dans un centre de soins, d’accompagnement et de prévention des addictions (CSAPA), où la prise en charge est totalement gratuite et anonyme. Toute une démarche est alors engagée, avec une évaluation médicale, psychologique et sociale. L’idée de cette évaluation est de proposer le traitement le plus adapté au patient.
Comment se fait-il que malgré ce soutien, il ait tenté de se procurer de la drogue ?
C’est la difficulté de la dépendance. Pour les personnes qui en souffrent, le produit est plus important que tout le reste. Par exemple, tout le monde sait que le tabac est nocif pour la santé. Malgré des décennies de campagne contre le tabagisme, il y a encore des fumeurs. Les fumeurs eux-mêmes reconnaissent que ce n’est pas bon pour leur santé mais ils y reviennent. Pour quoi ? Parce que l’addiction est plus forte et que le besoin de ce produit, dans son équilibre psychologique, est supérieur au risque de maladie. C’est notre métier, en tant qu’addictologues, de donner des perspectives à la personne dépendante et de lui permettre de ne plus avoir recours à ces produits.