Une riche famille russe fait menacer des squatteurs
Une riche famille russe fait pression sur les squatteurs
Des Russes dont le patriarche avait des liens avec la mafia auraient tenté de recourir à la force pour expulser les occupants d’une maison à Jouxtens-Mézery.
Une quarantaine d’agents lourdement armés, des routes fermées une partie de la journée, des enquêteurs travaillant autour d’une propriété. La tranquillité du village de Jouxtens-Mézery (VD) a été perturbée mercredi 13 mars. La raison ? Des hommes armés mandatés par une riche famille venue de Russie et domiciliés dans la commune seraient intervenus pour faire pression sur les squatteurs. Ils vivent dans la deuxième propriété des Russes, dont le terrain est adjacent à celui de leur maison principale.
Selon nos informations, les occupants apparemment illégaux du bâtiment vétuste situé en face de la gare sont au moins huit, de nationalité française, espagnole et italienne. Contactés, ils ont refusé de commenter l’événement. Selon nos informations, ils affirment avoir eu l’accord des propriétaires pour rester. Cependant, des hommes cagoulés sont intervenus. Une source indique qu’ils ont été brutalisés, assurant que certains ont été ligotés.
Sprays au poivre
La police vaudoise confirme l’intervention de « plusieurs patrouilles de la police cantonale et de la police de l’ouest lausannois » le 13 mars vers 13h20 dans la petite commune cossue. Le porte-parole David Guisolan explique que « selon les premiers éléments recueillis sur place, quatre agents de sécurité privés, armés et masqués, ont été mandatés par le propriétaire pour faire sortir un groupe de huit squatteurs des lieux. C’est ce dernier, se sentant menacé, qui a alerté la police. »
Toutes les personnes présentes sur place ont été arrêtées sans incident et interrogées. Les agents de sécurité ont été dénoncés au ministère public pour violation de la loi fédérale sur les armes en raison de la présence de gaz poivré. Les squatteurs ont fait l’objet d’une plainte pénale, déposée par le propriétaire des lieux, pour effraction et dégradations immobilières. Depuis, ils ont tous été libérés.
Le manque de communication de la police cantonale a inquiété les habitants de Jouxtan. « La police a tout bloqué mais ne nous a rien dit », regrette un habitant. C’est inquiétant, on aimerait savoir ce qui nous arrive.» Les voisins savaient que l’intervention était liée à une famille russe, compte tenu du lieu. En signe de leurs interrogations, ils ont d’abord fait le lien avec une autre affaire qui s’est déroulée dans le canton : l’arrestation d’un mineur radicalisé de 15 ans de la même nationalité. Il n’y a toutefois aucun lien entre les deux affaires, l’adolescent ayant été interpellé une semaine plus tôt.
P.sérieusement lié au crime organisé
Si les rumeurs se sont largement répandues, c’est parce que la famille, au passé trouble, attire l’attention et fait beaucoup parler dans la ville qu’elle souhaite quitter. Sa luxueuse maison principale est à vendre. La résidence, implantée sur un terrain de 10 000 m2est composé de 20 pièces dont onze chambres, pour 1500 m2 habitable, et sa valeur s’élèverait à plusieurs dizaines de millions de francs. «Il a été rénové pendant des années par des ouvriers russes. Cela a fait beaucoup parler, témoigne un riverain. Tout ça pour qu’il soit enfin vendu… »
Les voisins ne se doutent pas forcément du profil de cette famille. Selon le Cadastre, la riche propriété et la maison squattée appartiennent respectivement à une femme et à son fils. Elle est la dernière épouse et le plus jeune fils de Dmitry Skigin, un homme d’affaires russe actif à Saint-Pétersbourg, principalement dans les années 1990. On ne sait pas s’il résidait lui-même à Jouxtens-Mézery avant sa mort en 2003. Pourtant, de nombreux articles à travers le monde attestent de ses liens avec la scène du crime organisé dans son pays.
Il dirigeait effectivement le port pétrolier de l’ancienne capitale tsariste. Cependant, le lieu fut infiltré par la mafia après la chute de l’URSS. Dmitri Skigin était la « figure présentable » du port, selon Catherine Beltone, auteur du livre « Le peuple de Poutine », consacré à l’accession au pouvoir de l’actuel président russe.
Au-delà de cette image d’homme d’affaires, il était associé à Ilia Traber, impliqué au plus haut niveau dans le gang de Tambov. Ce groupe mafieux était actif dans le port de Saint-Pétersbourg et a laissé derrière lui de nombreux règlements de compte et assassinats. Les deux dirigeaient plusieurs entreprises liées au pétrole.
Aun autre fils puni
Dmitri Skigin a également côtoyé Vladimir Poutine lorsqu’il était à la mairie de Saint-Pétersbourg. Le port pétrolier revêt alors une importance capitale pour la ville laissée exsangue après l’effondrement de l’Empire soviétique. Des articles expliquent que celui qui est devenu l’homme fort du Kremlin avait exigé 15 % des bénéfices d’une entreprise appartenant à Dmitri Skigin pour qu’elle puisse fonctionner. Ils auraient convenu d’un accord pour atteindre 4% des actions.
Tard dans sa vie, Dmitry Skigin a été expulsé de Monaco, où il aurait été soupçonné de blanchiment d’argent avec ses associés. Ses intérêts furent ensuite gérés par un cabinet d’avocats basé au Liechtenstein jusqu’à sa mort. Il a laissé à ses héritiers une fortune estimée à plus de 600 millions de dollars. Un héritage qui aurait fait l’objet de conflits entre eux, l’homme d’affaires ayant eu plusieurs enfants issus de trois mariages.
Que reste-t-il des liens entre Dmitri Skigin et le crime organisé ou Vladimir Poutine ? Si les membres de sa famille résidant à Jouxtens-Mézery n’ont pas fait parler d’eux dans les médias jusqu’à présent, ce n’est pas le cas du fils aîné du patriarche Skigin, Mikhaïl Skigin, qui possède la nationalité allemande. Il a notamment repris les activités de son père au sein de la société qui gère le terminal pétrolier de Saint-Pétersbourg. Il est toujours membre du conseil d’administration de l’entreprise.
Selon l’ONG Fondation anticorruption (ACF), fondée par l’opposant russe Alexeï Navalny, décédé il y a deux mois en détention, il fait également l’objet de sanctions liées à la guerre en Ukraine. Mikhaïl Skigin, qui a étudié à l’université de Saint-Gall jusqu’à la mort de son père, entretient néanmoins des liens avec la Suisse puisqu’il est notamment propriétaire d’un restaurant à Zurich.
Il est désormais impossible de connaître les activités exactes de la famille en Suisse, ni si elle entretient des contacts avec le passé du patriarche, ni pourquoi elle souhaite quitter le village. A Jouxtens-Mézery, il n’y a quasiment aucun employé chargé d’entretenir la luxueuse propriété avant sa vente. Contactés par leur intermédiaire, les propriétaires n’ont pas répondu à nos demandes.
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