« Au revoir les seins! » » ou comment Laurine a préféré la mastectomie bilatérale prophylactique
LAurine n’a jamais eu de cancer du sein. Elle n’en a pas eu le temps, mais ses deux grand-mères, ses tantes et sa sœur n’y ont pas échappé. Aujourd’hui, après sa double mastectomie prophylactique, alors qu’elle médite devant le feu, ses vieux seins moulés en buste en plâtre et customisés, elle ne verse pas une larme de regret. « Cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête, la perspective d’un cancer, j’en ai eu conscience très jeune, alors plutôt que d’attendre que l’épée tombe sur moi, j’ai anticipé, inversé le modèle et repris mon pouvoir d’agir », tempête le Jeune femme de 34 ans. En 2022, alors que sa sœur aînée vient d’être diagnostiquée à Lyon et commence ses traitements, chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie, Laurine reçoit un courrier du centre expert de l’Institut Bergonié qui l’invite à suivre un protocole de surveillance, puisqu’elle et son autre sœur sont désormais considérées comme présentant un « niveau de risque très élevé ». A partir de là, sa vie prend un tournant.
Une décision radicale
« Nous avons reçu chacun une convocation », se souvient la Bordelaise. Suite au rapport médical oncogénétique de ma sœur à Lyon, un dossier a été transmis à l’Institut Régional du Cancer de Bordeaux, avec des recommandations pour la fratrie. Il a été précisé qu’une surveillance étroite devait être mise en place. Pas le choix. J’ai 32 ans, et je passe ma première IRM, suivie d’une échographie, de prises de sang. Personnellement, je suis bloquée sur la mammographie, j’avais peur d’avoir des douleurs et puis, les autres examens des seins montraient une densité, qu’ils étaient difficilement lisibles. Face à ce constat, l’équipe Bergonié m’a proposé un suivi très rapproché avec une série d’examens, IRM, échographie, mammographie, biopsie, tous les six mois. » Laurine est une belle jeune femme au regard déterminé, elle ne tergiverse pas, accepte qu’elle soit génétiquement considérée « à haut risque » et accepte de se soumettre à ces tests semestriels. Pas longtemps. « Très vite, j’ai réalisé que je pouvais supporter ce fardeau », avoue-t-elle. L’angoisse du cancer m’accompagnait tout le temps, collée à ma peau. Je leur ai dit : c’est trop. »
« Face à ce stress latent permanent, j’ai choisi d’agir. La mastectomie bilatérale prophylactique était l’option 2. Je n’ai pas hésité. » En clair, Laurine, psychologue, a choisi de se faire enlever ses deux seins valides, en échange de prothèses en silicone. « En échange de l’opération et des souffrances postopératoires, ainsi que du risque chirurgical, j’avais repris le contrôle de l’hypothèse de maladie et j’allais me retrouver avec 95 % de risques en moins. » Laurine suivra tout le protocole obligatoire avant de jouer au billard. Cela commence par une commission de concertation multidisciplinaire à Bergonié qui analyse son dossier et approuve sa décision. Elle prend les choses en main, demande deux avis chirurgicaux différents, dispose de protocoles détaillés, des risques possibles… Une fois son choix fait, elle attendra quatre mois, quatre mois de réflexion obligatoire, avec un suivi psychologique avant toute intervention. Nous parlons de mutilation consentie.
C’est dur, avoue-t-elle, il faut du soutien, mais désormais je ne suis plus considérée comme à risque, je ne suis plus un objet de soins et je peux me concentrer sur autre chose. »
« Enterrement de jeunes mésanges »
La date de l’opération est fixée au 6 novembre 2023 à la clinique Bel Air de Bordeaux. Ablation et début de reconstruction simultanément. Avant le rendez-vous, Laurine organise une grande fête chez elle, « Bye bye boobs », qu’elle qualifie d’« Funérailles de jeunes seins ». « Mon mari a moulé mon buste et j’ai organisé mon premier atelier d’embellissement thérapeutique, d’art corporel, comme rituel de transition », raconte-t-elle. C’était très heureux, j’avais mes amis. Et d’ailleurs, j’ai décidé de pérenniser cette initiative pour les femmes qui vont subir une mastectomie, ou qui l’ont subie. »
En vérité, Laurine ne subira pas une intervention chirurgicale mais trois. Les prothèses en silicone sont posées immédiatement, mais il faudra réaliser des séances de lipostructure et de kinésithérapie, prodiguer des massages réguliers des cicatrices, investir dans un oreiller post-opératoire de mastectomie, dormir à plat et éviter de lever les bras pendant des semaines. « C’est dur, avoue-t-elle, il faut du soutien, mais maintenant je ne suis plus considérée comme à risque, je ne suis plus un objet de soins, l’histoire est derrière moi et je peux me concentrer sur autre chose. »
Laurine a repris son travail de psychologue, sa silhouette n’a jamais changé. Sa sœur atteinte d’un cancer du sein est tirée d’affaire, l’autre sœur, toujours considérée comme « à haut risque », est fixée sur la première option, accepte à la lettre les protocoles de surveillance, vit avec. En France, moins de 20 % des femmes génétiquement à risque de développer un cancer du sein choisissent l’option chirurgicale radicale.