La Chine lance sa riposte contre les esprits européens
(Article publié le 8 octobre 2024 à 10h27, mis à jour à 13h31) La Chine contre-attaque contre l’Union européenne. Dès ce vendredi, une nouvelle mesure protectionniste sera instaurée contre les importations de certaines catégories de spiritueux en provenance de l’Union européenne, selon un communiqué du ministère chinois du Commerce.
« A partir du 11 octobre 2024, les importateurs doivent, lors de l’importation d’eaux-de-vie (ndlr : terme anglais désignant une eau-de-vie de vin) depuis l’Union Européenne, fournir la caution correspondante aux douanes de la République Populaire de Chine »a indiqué le ministère dans un communiqué.
Cependant, il ne s’agit que d’un dépôt de garantie. Et elle ne sera débitée de manière rétroactive que si la Chine décide formellement d’appliquer des surtaxes douanières, ce qui n’est pas encore le cas. Pour rappel, Pékin avait ouvert en janvier une enquête sur les eaux-de-vie européennes – dont à lui seul le cognac représente la quasi-totalité – et avait assuré fin août avoir trouvé des preuves de dumping et donc de concurrence jugée déloyale. Mais le ministre chinois du Commerce avait néanmoins exclu d’imposer des droits de douane temporaires sur ces alcools. » Pour l’instant « il a pris soin de préciser.
Les premières conséquences ne se sont pas fait attendre. Les actions du producteur français de spiritueux Rémy Cointreau ont fortement chuté mardi à la Bourse de Paris, plombées par cette annonce. Le titre abandonnait -6,37%, à 61,75 euros, vers 09h25 (7h25 GMT) quand celui de Pernod Ricard perdait -3,12%, à 127,35 euros.
L’UE va contester ses mesures à l’OMC
La Commission européenne a annoncé mardi qu’elle contesterait les mesures chinoises devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
« Nous estimons que ces mesures sont infondées et nous sommes déterminés à défendre l’industrie européenne contre l’utilisation abusive des instruments de défense commerciale »a déclaré un porte-parole, Olof Gill.
« La Commission européenne contestera devant l’OMC l’annonce de l’imposition de mesures antidumping provisoires par la Chine sur les importations de cognac en provenance de l’UE »il a expliqué.
L’interprofession du cognac en France a de son côté appelé ce mardi à « Arrêtez l’escalade » entre Bruxelles et Pékin. « Nous appelons notre gouvernement à ce que les mesures nécessaires soient enfin prises pour mettre un terme à cette escalade dont nous sommes les otages et dont l’issue est aujourd’hui plus menaçante que jamais. Ces taxes doivent être suspendues avant qu’il ne soit trop tard. »affirme le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) dans un communiqué cosigné par son homologue de l’Armagnac et la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France.
Mesure contre mesure
L’annonce de Pékin apparaît comme une mesure de représailles après la décision prise vendredi dernier par la Commission européenne de maintenir son projet de droits de douane supplémentaires sur les importations de véhicules électriques chinois. Ces dernières pourraient monter jusqu’à 35%, sachant qu’elles viendront s’ajouter à une taxe de 10% déjà en vigueur. Cette nouvelle mesure doit entrer en vigueur au plus tard le 30 octobre et est justifiée par Bruxelles comme un moyen de rétablir des conditions de concurrence équitables avec les constructeurs chinois, accusés de bénéficier de subventions publiques massives. Il s’agit de défendre l’industrie automobile européenne et ses quelque 14 millions d’emplois contre des pratiques jugées déloyales identifiées lors d’une longue enquête de la Commission.
Sans surprise, le maintien de ce projet par l’UE a provoqué l’ire de la Chine. Le ministère chinois du Commerce ainsi fustigé en fin de semaine dernière « pratiques déloyales, non conformes et déraisonnables » et prévenu qu’il « préserverait les intérêts des entreprises chinoises ». Depuis, les craintes d’une guerre commerciale entre les deux grandes puissances pèsent. C’est également la raison pour laquelle cinq pays membres de l’UE, dont l’Allemagne, ont voté contre cette mesure, en vain : dix ont voté pour et douze se sont abstenus.
Cependant, rien n’a encore été pleinement mis en œuvre. Le dialogue se poursuit en effet entre le commissaire européen, Valdis Dombrovskis, et le ministre chinois du Commerce, Wang Wentao. A tout moment, les surtaxes pourraient être supprimées si une solution négociée était trouvée pour compenser les dommages identifiés par l’enquête européenne.
L’industrie du cognac s’inquiète
Cette réponse chinoise était du moins redoutée par l’interprofession du cognac, un alcool représentant donc 95 % des importations chinoises d’eaux-de-vie européennes. Interrogé ce mardi par l’AFP, le directeur général du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), Raphaël Delpech, a déclaré voir dans cette annonce une « signal supplémentaire » envoyé par la Chine concernant la mise en place de taxes, même si celles-ci ne sont pas encore officialisées. « Il va déjà falloir retirer de l’argent » pour le dépôt de ce gisement, a-t-il déploré, les grandes maisons exportatrices de cognac ayant leur propre filiale d’importation en Chine.
La semaine dernière, après que l’UE a donné son feu vert à l’imposition de droits de douane sur les voitures électriques importées de Chine, l’industrie a déclaré « sacrifié ».
« Nos demandes de report du vote et de solution négociée ont été ignorées. Les autorités françaises nous ont abandonnés. » a déploré le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) dans un communiqué transmis à l’AFP, espérant toujours que « le dialogue » permettrait « pour éviter une surtaxe qui pourrait les exclure du marché chinois ».
L’ensemble de la filière a manifesté mi-septembre dans les rues de Cognac, dans le sud-ouest de la France, déjà pour alerter d’un éventuel « disparition du marché chinois ». Ce dernier absorbe « un quart des exportations en valeur » des spiritueux charentais et représente jusqu’à 60% du chiffre d’affaires de « certaines maisons », selon le président du BNIC, Florent Morillon.
L’appellation cognac souffre par ailleurs déjà d’une baisse de ses ventes (-22% en volume en 2023) et a drastiquement réduit les superficies autorisées aux nouvelles plantations de vignes, après plusieurs années prospères. L’annonce chinoise est donc un nouveau coup dur pour le secteur qui regroupe 4 400 exploitations agricoles, 120 distillateurs professionnels, 270 commerçants et représente 15 000 emplois directs et 70 000 indirects en France.
(Avec l’AFP)