En Israël, Benjamin Netanyahu est « devenu un belliciste parce qu’il n’a pas le choix »
CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Alors qu’il s’est longtemps opposé aux actions militaires contre les ennemis d’Israël, Benjamin Netanyahu mène depuis un an une guerre sans fin contre le Hamas, le Hezbollah et plus largement l’Iran.
INTERNATIONAL – Une fuite en avant. Ce lundi 7 octobre marquera la première année de guerre entre Israël et le Hamas, après l’attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien sur le sol israélien. Un conflit durant lequel le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est constamment trouvé en première ligne, faisant planer le risque d’une menace existentielle sur l’État hébreu pour répondre violemment sur l’enclave palestinienne.
Correspondant de France 2 à Jérusalem de 1981 à 2015, l’auteur franco-israélien Charles Enderlin vient de publier La Grande Cécité, Israël face à l’Islam radical (Éditions Albin Michel) une version augmentée de son livre à la lumière des 365 jours qui ont secoué la région. Pour HuffPost il décrypte la stratégie et l’image de Benjamin Netanyahu.
HuffPost. Vous décrivez comment le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahu en 2009 illustre le début de la « descente aux enfers » d’Israël. Quelles en sont les raisons ?
Charles Enderlin. Benjamin Netanyahou revenu au pouvoir en 2009 a ôté son masque. Ce n’est plus lui qui, en 1996, a dû négocier avec Yasser Arafat (ancien président de l’Autorité palestinienne), accepter des accords… Depuis, Yasser Arafat a disparu, il y a eu la deuxième Intifada, les attentats suicides et surtout d’où, en 2005, le choix du Premier ministre Ariel Sharon de laisser Gaza au Hamas.
De retour au pouvoir, Netanyahu poursuit cette politique en laissant passer un énorme flux d’argent vers l’enclave palestinienne. Il interdit également toute élimination ciblée des dirigeants du Hamas. En 2012, il a également interdit au Mossad de s’attaquer aux finances du Hamas. De quoi permettre à l’organisation islamiste de faire rentrer d’énormes fonds en provenance de Turquie et du Qatar. Tout cela avec la bénédiction des Israéliens donc. C’est ainsi que commença la construction de centaines de kilomètres de tunnels…
Peut-on aller jusqu’à dire que Benjamin Netanyahu a une responsabilité dans la situation que nous observons depuis un an ?
En réalité, tout a changé en 2011. Parallèlement au Printemps arabe, un vaste mouvement social s’est développé en Israël contre le coût de la vie et de l’immobilier. La presse internationale parle même d’un « printemps israélien « . Et Benjamin Netanyahu a eu peur. Dans son entourage, on lui a proposé de détourner l’attention avec un échange de prisonniers pour libérer le soldat israélien Gilad Shalit, détenu depuis 5 ans dans les tunnels du Hamas. Un accord est signé. Parmi les 1 027 Palestiniens libérés des prisons israéliennes sont 200 hommes de la branche armée du Hamas, dont Yahya Sinouar (actuel chef du bureau politique du Hamas). Le reste, on le sait.
Benjamin Netanyahu est donc responsable de cette politique d’encouragement du Hamas. Il avait lui-même déclaré en 2019 que pour empêcher l’État palestinien, il fallait autoriser le financement du Hamas. L’idée était que le Hamas se contenterait de gérer Gaza.
Mais déjà à l’époque, certains analystes n’étaient pas d’accord, estimant que l’objectif d’un mouvement fondamentaliste comme le Hamas reste la destruction d’Israël, d’ailleurs prévue pour 2027. En 2024, les théologiens du Hamas estiment que ce processus a commencé.
Et depuis le 7 octobre, comment analysez-vous la stratégie de Benjamin Netanyahu ?
Ce jour-là, le Hamas lançait sa grande attaque. Le lendemain, le Hezbollah a commencé à bombarder toute la frontière libanaise. Entre 60 000 et 70 000 Israéliens ont été déplacés et ne sont toujours pas rentrés chez eux. Les bombardements du Hezbollah depuis le Liban ont détruit des milliers d’installations israéliennes, paralysant complètement l’économie de la région. Mais les Israéliens ont clairement laissé cela se produire pour éviter une guerre sur deux fronts. Fin octobre, ils ont lancé la grande opération à Gaza, d’une manière qui, à mon avis, a été catastrophique car l’armée n’avait jamais préparé la reconquête de Gaza. Comme prendre en compte la population civile, d’où cette catastrophe humanitaire pour laquelle l’armée israélienne porte une énorme responsabilité.
Et Benjamin Netanyahu a refusé la proposition d’un accord de cessez-le-feu incluant la libération des otages contre les prisonniers présentée par l’administration Biden et l’Arabie saoudite, avec l’entrée d’Israël dans une alliance sunnite anti-iranienne. Il a dit non parce que l’accord exigeait une composante palestinienne et il est fondamentalement opposé à l’existence d’un État palestinien. A cette époque, il fallait commencer à résoudre le problème du Hezbollah qui représentait une menace non seulement pour les localités frontalières mais aussi pour l’intérieur du territoire israélien.
L’armée a donc fini par avoir le feu vert du Premier ministre pour lancer la grande offensive préventive contre le Hezbollah. D’abord avec des téléavertisseurs, des talkies-walkies, puis des liquidations ciblées à Beyrouth.
Ces actions vous surprennent-elles, compte tenu de qui est Benjamin Netanyahu ?
Benjamin Netanyahu n’a jamais été un belliciste. Il l’est devenu parce qu’il n’avait pas le choix. Dans le passé, il s’est toujours opposé à la liquidation ciblée des dirigeants du Hamas. Comme en 2014, lorsque des plans d’attaque du Hamas contre les villes voisines de Gaza lui ont été présentés ; C’est finalement ce même plan qui a eu lieu le 7 octobre 2023. Il avait même proposé à neuf reprises des accords de cessez-le-feu. Le chef du Hamas de l’époque les a toutes refusées, avant de finalement céder. Immédiatement après le 7 octobre, il a également refusé de lancer la grande opération contre le Hezbollah.
Là, il n’a pas le choix : des missiles tombent sur Israël, la population en a marre, il y a des victimes, des soldats meurent au combat…
Pourtant, cela ne signifie pas qu’Israël soit confronté à une menace existentielle, qu’elle provienne du Hezbollah ou de l’Iran. Israël reste la principale puissance militaire de la région, avec certains moyens qu’il n’a visiblement pas encore utilisés. À mon avis, la seule menace existentielle pour Israël est interne…
Après un an de guerre, qu’en est-il de sa popularité ? Les manifestations qui ont eu lieu pendant des mois peuvent-elles avoir raison de lui ?
Tous les sondages montrent que si de nouvelles élections devaient avoir lieu ces jours-ci, la coalition au pouvoir perdrait. Il n’y a donc aucune raison pour qu’elle accepte les élections. Les prochains sont prévus pour octobre 2026.
Et il n’y a aucune raison pour que ce gouvernement accepte des élections, quelle que soit l’ampleur des protestations. Benjamin Netanyahu restera au pouvoir le plus longtemps possible, jusqu’aux prochaines élections. S’ils sont entretenus…
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