Une vague fiscale sans précédent depuis 2013
Le suspense touche à sa fin. Bercy transmettra en début de semaine le projet de loi de finances 2025 au Haut Conseil des finances publiques, comme le prévoit la procédure – avec plus de deux semaines de retard en raison de l’absence de gouvernement. Cette instance, qui dépend de la Cour des comptes, rendra son avis sur la crédibilité du plan Barnier de redressement des finances du pays, avant son dépôt au Parlement vers le 9 octobre.
Le texte du gouvernement va marquer un tournant. En rupture avec la politique fiscale menée depuis sept ans, les impôts vont augmenter. Il s’agira sans doute de la plus forte vague de hausse depuis la période 2011-2013. A cette époque, François Fillon pour la droite puis Jean-Marc Ayrault pour la gauche devaient renflouer les caisses vidées par la crise financière de 2008. En 2013, la fuite supplémentaire avait atteint 30 milliards d’euros, contre un peu plus de 20 milliards pour chacun des deux. les deux années précédentes.
Sur le papier, le gouvernement Barnier doit aller encore plus loin que ses prédécesseurs. Le déficit public a reculé contre toute attente – autour de 6% du PIB cette année – et la France fait l’objet d’une procédure de Bruxelles pour déficit excessif. Les mesures fiscales envisagées pourraient donc dépasser les 20 milliards d’euros au total.
Signe qu’une page se tourne, le Medef – fait rare – a accepté une hausse du taux normal de l’impôt sur les sociétés (IS), à condition que celle-ci ne dure qu’une seule année. D’autres prélèvements à long terme sur les entreprises sont cependant en préparation. Du côté des particuliers, les revenus des plus riches sont dans le viseur, Michel Barnier ayant exprimé son inquiétude pour « justice fiscale « .
Le Premier ministre entend exempter d’effort » les plus modestes, les classes moyennes, ceux qui travaillent », comme Jean-Marc Ayrault, qui avait promis – à tort – que neuf Français sur dix ne subiraient pas ses augmentations. Cela lui avait coûté politiquement. Plusieurs mesures examinées par l’actuel exécutif toucheraient bien au-delà des ménages les plus riches (lire ci-dessous).
Lors de leur audition devant les députés de la commission des finances cette semaine, les nouveaux ministres Antoine Armand (Finances) et Laurent Saint-Martin (Comptes publics) ont assuré que la relance se ferait principalement par des réductions des dépenses publiques. Les mesures de « justice fiscale » serait développé lors du débat parlementaire – sachant que la partie « recettes » est débattu d’abord dans l’hémicycle. Ils ne seraient donc pas connus avec précision dans l’immédiat.
Reste à savoir si une majorité de députés empêchera la censure du gouvernement à la fin de l’exercice parlementaire, d’ici décembre. Laurent Saint-Martin a commencé à rencontrer à Bercy les dirigeants de chaque groupe. Il a notamment reçu Jean-Philippe Tanguy (RN) et il verra demain Éric Coquerel (LFI, président de la commission des finances). Revue des pistes à l’étude, selon la probabilité de leur mise en œuvre.
Probable
Les entreprises seront fortement impliquées. Patrick Martin, président du Medef, s’est vu proposer une augmentation de 10 milliards d’euros, au minimum. La hausse de l’impôt sur les sociétés toucherait principalement les grands groupes. Son taux normal est passé de 33,3% à 25% lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, les PME bénéficiant d’un taux réduit. Il a rapporté 56,8 milliards d’euros l’an dernier. Le retour sur investissement d’une augmentation peut s’exprimer en milliards, mais il dépend de la situation économique.
La nouvelle taxe sur les rachats d’actions annoncée par Emmanuel Macron trouvera une majorité pour être votée. Gain attendu : 300 millions. Le nouveau format de la contribution sur les loyers inframarginaux, faisant office d’impôt sur les superprofits, touchera principalement EDF et Engie. Elle rapporterait 3 milliards d’euros, à condition qu’elle fonctionne plus efficacement que la première version de cette taxe.
Autre objectif de Bercy, les aides à l’apprentissage pour l’emploi des alternants seraient réduites d’un milliard d’euros – privant les employeurs d’une démarche qui conduit souvent au recrutement.
La contribution des ménages les plus aisés pourrait passer par une augmentation du taux marginal de l’impôt sur le revenu, en gelant les dernières tranches du barème (si cette disposition n’est pas inconstitutionnelle) ou par un durcissement de la surtaxe Fillon (due à partir d’un demi-million d’euros de revenu pour un couple).
Le Medef a accepté une augmentation du taux normal de l’impôt sur les bénéfices, à condition que celle-ci ne dure qu’un an
Tous les Français risquent aussi de voir la TICFE augmenter, taxe sur les factures d’électricité. Son niveau a été réduit à 1 euro par MWh pendant la crise énergétique. Il s’élève à 21 euros cette année et pourrait atteindre 32 euros l’année prochaine, sa valeur d’avant la crise. Soit 3 à 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Possible
L’ampleur des réductions de cotisations sur les salaires devrait être remise en cause, dans une mesure qui reste à déterminer. Les chiffres qui circulent vont de quelques centaines de millions d’euros à 4 milliards. Un récent rapport des économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer préconise de réformer la politique de baisse du coût du travail. Ciblé sur les bas salaires depuis son lancement dans les années 1990, il est aujourd’hui accusé d’empêcher les augmentations et de maintenir les taux de salaire minimum au bas de l’échelle.
Le crédit d’impôt recherche, dans le viseur de Bercy depuis longtemps, serait réduit à hauteur de 500 millions d’euros. Il s’agit de la « niche » la plus coûteuse de la fiscalité française : elle représente un effort annuel de plus de 7 milliards d’euros pour les finances publiques. Sa facture a plus que doublé en dix ans.
Les pactes Dutreil, qui facilitent la transmission des entreprises familiales, sont accusés de donner lieu à de nombreux abus. Bercy pourrait restreindre son champ. Montant attendu : 150 millions d’euros.
Concernant les particuliers, le gel du barème de l’impôt sur le revenu, évoqué dans nos colonnes dimanche dernier, fait l’objet d’un barrage de Gabriel Attal et des députés de l’Ensemble pour la République, tandis que les élus Horizons ont imposé des conditions drastiques afin d’épargner les moyens. cours. L’exécutif n’a pas dit que cette piste était exclue. La mise est estimée à environ 4 milliards d’euros si l’inflation est de 2 %.
Le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus de l’épargne pourrait être augmenté. Pour les députés macronistes, il s’agit d’un totem du premier quinquennat, associé à l’attractivité fiscale du pays et au maintien en France de la résidence principale de nombreux entrepreneurs. Le PFU a aligné la France sur ses concurrents. Mais le Modem propose depuis plusieurs années d’augmenter le taux (30%, impôts et cotisations sociales comprises) et la gauche y est également favorable. Une augmentation de 3 points permettrait à l’Etat de récolter 1,5 milliard d’euros supplémentaires.
Peu probable
Un rétablissement de la taxe d’habitation a été discuté. De nombreux élus locaux, y compris ceux de droite, y auraient été favorables : ce prélèvement renforce le lien entre le contribuable et la mairie, en donnant un levier aux élus. Outre son caractère forcément impopulaire, cette mesure n’aurait aucune majorité à l’Assemblée.
La TVA réduite sur la restauration suscite également des critiques pour son efficacité limitée en termes de création d’emplois. Mais le retour au tarif normal mettrait à mal l’ensemble du secteur et ses clients, qui subiraient une inévitable hausse des prix. La gauche réclame le rétablissement de l’ISF sur les actifs financiers. Mais cette option n’est pas à l’ordre du jour.