Eleonora Buratto impressionne en geisha amoureuse
Visuellement, Madame Butterfly de Robert Wilson est d’un raffinement esthétique époustouflant. Les scènes, figées ou animées, se succèdent dans un décor extrêmement dépouillé, accompagné d’explosions de couleurs et de lumières. Dans cette tragédie, le metteur en scène américain s’est inspiré du théâtre Nô et du Butô, un théâtre de danse contemporain japonais qui se distingue par sa lenteur. Sur scène, les artistes évoluent avec une économie de gestes tout au long du spectacle.
Robert Wilson (lien en anglais) s’est entouré de la chorégraphe Suzushi Hanayagi et de la créatrice de costumes Frida Parmeggiani. Créée il y a plus de trente ans, en 1993, la mise en scène n’a pas pris une ride et reste toujours aussi convaincante. L’artiste de 82 ans, présent à la première de Madame Butterflyle 14 septembre 2024, à l’Opéra Bastille, a reçu une ovation debout du public à la fin du spectacle.
Que nous dit l’opéra ? Madame Butterfly ? À l’origine, il s’agit d’une nouvelle de l’avocat et écrivain américain John Luther Long, publiée en 1898. L’histoire serait authentique. Une jeune Japonaise a été séduite par un marin américain qui l’a ensuite abandonnée. Le nouvelliste américain s’est inspiré d’un roman français de Pierre Loti (Madame Chrysanthème, 1888) qui raconte le mariage de courte durée d’un officier de la marine française avec une jeune Japonaise de Nagasaki.
Ces unions n’étaient pas rares à l’époque. Moyennant une somme d’argent et le consentement des parents de la mariée, elles permettaient aux Occidentaux de consommer un mariage qui ne durait que le temps d’un séjour. Une sorte de mariage de plaisir, au détriment des jeunes femmes.
Adapté deux ans plus tard au théâtre par David Belasco, Madame Butterfly Le succès est immédiat. En 1900, Giaccomo Puccini assiste à une représentation de la pièce à Londres. Séduit, il demande les droits d’adaptation de l’opéra. Avec ses librettistes Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, il se lance dans la création de l’opéra « Tragédie japonaise en deux actes ». La première à la Scala de Milan en 1904 tourna au désastre. Puccini était-il en avance sur son temps ?
Madame Butterfly peut être lu sous différents angles : le thème classique de la femme séduite et abandonnée, la dénonciation des rapports de pouvoir, ou encore l’Occident spoliant l’Orient. Jusqu’à l’aliénation culturelle.
Pour sa création à l’Opéra de Paris, la soprano italienne Eleonora Buratto incarne Cio-Cio-San, Madame Butterfly, une geisha de 15 ans qui, par amour pour l’officier américain Pinkerton, renonce à son nom, à sa famille et à sa culture. L’amour de Cio-Cio-San est total, inconditionnel, et ne laisse place à aucun doute.
Pour Pinkerton, interprété par le ténor Stefan Pop, elle n’est qu’une « épouse trophée ». Le jour de son mariage, il porte un toast à sa famille éloignée : « Et le jour où je verrai mon vrai mariage, avec une vraie mariée… Américaine. » Et pendant ce temps, il est attiré par « ce petit papillon qui vole et atterrit avec cette grâce silencieuse. » Un papillon beau et muet. « Je ressens alors une furieuse envie de le poursuivre, même si cela signifie lui briser l’aile. » La proie et le chasseur.
Eleonora Buratto et Stefan Pop impressionnent par leur présence et leur théâtralité. Portée par les vagues de musique japonaise sortant de la fosse, sous la direction de Speranza Scappucci, la soprano imprègne son personnage d’un kaléidoscope d’émotions et livre une prestation presque athlétique. A noter également la prestation d’Aude Extrémo, qui incarne Suzuki, servante et confidente de Cio-Cio-San. Madame Butterflyune œuvre majeure.
Titre : Madame Butterfly
Durée : 2h45 avec 1 entracte
Musique : Giacomo Puccini
Brochure: Giuseppe Giacosa et Luigi Illica ; d’après David Belasco, pièce adaptée d’une nouvelle de John Luther Long
Langue : italien
Surtitres : Français/Anglais
Direction musicale: Speranza Scappucci
Mise en scène et décors : Robert Wilson
Déguisements: Frida Parmeggiani
Lumières: Heinrich Brunke, Robert Wilson
Chorégraphie: Suzuki Hanayagi
Dramaturgie: Holm Keller
Chef de chœur : Alessandro Di Stefano
Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris
Distribution : Eléonora Buratto, Elena Stikhina, Aude Extrémo, Stefan Pop, Christopher Maltman, Carlo Bosi, Sofia Anisimova, Kim Young-Woo
Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Dates: Jusqu’au 25 octobre 2024
Synopsis: Pauvre Madame Butterfly ! Cette jeune geisha de 15 ans a renoncé à sa famille et à ses traditions japonaises pour l’amour d’un lieutenant américain qui l’abandonne. De ce thème classique d’une femme séduite et abandonnée, Giacomo Puccini tire un opéra à l’orchestration luxuriante et au lyrisme ardent. Créé en 1904 à la Scala de Milan, sa partition aux couleurs orientales traduit avec intensité le contraste entre la brutalité de l’officier de Pinkerton et la vulnérabilité de Butterfly, aussi fragile que les ailes d’un papillon. Pour Robert Wilson, cette tragédie japonaise devient le terreau idéal pour l’expression du formalisme qu’il revendique. Loin des traditionnels éventails ou fleurs de cerisier, le metteur en scène utilise un jeu stylisé et un espace dépouillé qui permettent aux lignes mélodiques de s’épanouir dans toute leur pureté.
Diffusions :
Diffusion en direct le 1er octobre 2024 à 19h30 sur France.tv. L’opéra sera diffusé dans les salles de nombreux pays à partir de juin 2025, distribué par Pathé Live. L’opéra sera également diffusé ultérieurement sur une chaîne de France TV et sur Paris Opera Play (POP).
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