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Lauréline Fontaine : « Emmanuel Macron se comporte comme un manager et non comme un chef d’État dans un régime constitutionnel »

Sommes-nous en train de vivre une crise politique, une crise institutionnelle ou une crise de régime ?

Ces expressions n’entrent pas dans mes cadres d’analyse car elles n’ont aucune valeur explicative. Mais si l’on veut insinuer par là qu’il y a une rupture dans la pratique, je peux dire qu’au contraire, nous sommes aujourd’hui dans une continuité parfaite.

La situation actuelle n’est que l’aboutissement d’une évolution qui a commencé il y a de nombreuses années et qui fait de la Constitution un instrument hyper-malléable, s’adaptant aux désirs du moment. La communauté des constitutionnalistes défend généralement que tout est une question d’interprétation, donc, implicitement, que tout est possible.

Les gouvernements d’Emmanuel Macron se contentent de profiter de toutes les marges possibles, là où les précédents étaient clairement moins utiles. Selon cette logique, aucune limite constitutionnelle ne peut être imposée au pouvoir en place.

D’un point de vue juridique, comment jugez-vous la nomination de Michel Barnier à Matignon ?

Si l’on s’en tient à une conception purement procédurale de la règle constitutionnelle, celle qui figure à l’article 8, il n’y a rien à dire : le Président de la République nomme qui il veut, sans intervention d’une autre autorité, car il n’y a pas de contrainte expresse formulée.

Mais le droit n’est pas seulement une procédure : au point de départ de toute règle juridique, il y a une philosophie, une intention morale ou politique. Ce sont ces éléments seuls qui donnent sens à la procédure organisée. Lire une procédure juridique de manière déconnectée des raisons pour lesquelles elle a été organisée revient à nier une partie de l’État de droit. Selon l’article 49 de la Constitution, le Premier ministre est responsable devant l’Assemblée nationale, il doit donc collaborer avec elle.

Si le président nomme un Premier ministre dont les chances de collaboration avec l’Assemblée sont très faibles, on peut dire qu’il change la philosophie qui donne du sens au régime. Il faut donc savoir si Michel Barnier et son gouvernement ont une chance de collaborer avec l’Assemblée. Les politologues sont les mieux placés pour répondre à cette question.

N’y a-t-il pas une situation où Emmanuel Macron outrepasse la séparation des pouvoirs en tentant d’instaurer préventivement des majorités parlementaires à la place des députés ?

Il s’agit là encore d’une question de philosophie institutionnelle et non de procédure. Soyons clairs, cette équipe gouvernementale fait ce qu’elle veut depuis un moment. Les précédents s’accumulent depuis la dernière présidentielle : recours à l’article 47.1 sur la réforme des retraites, organisation du vote de la disposition contraire à la Constitution de la loi sur l’immigration, participation de ministres démissionnaires aux votes à l’Assemblée, longueur de la gestion des affaires courantes…

Le gouvernement et le président ont eu la possibilité d’imposer leurs interprétations et leurs usages des règles car, jusqu’à présent, il n’y a pas d’opposition institutionnelle tangible. On peut alors se demander pourquoi écrire une Constitution si elle ne peut servir efficacement de limite à un exercice arbitraire du pouvoir.

S’agit-il d’un problème intrinsèque au texte constitutionnel ou d’une déchéance du chef de l’État dans l’interprétation de la Constitution ?

Les deux ne sont pas incompatibles. Ce qui se passe est la conséquence d’une conception faible de l’instrument constitutionnel et du manque d’éthique de la fonction de gouvernance du Président de la République. Pour chaque fonction, il existe un certain nombre de principes et de philosophies qui fondent l’existence de cette fonction.

Mais Emmanuel Macron se comporte comme un gestionnaire et non comme un chef d’État dans un régime constitutionnel. C’est un problème plus général que celui de sa personnalité. Par exemple, en 2023, on aurait pu éviter des mois intenses sur la réforme des retraites : lorsque le gouvernement a déposé un projet de loi modifiant le financement de la Sécurité sociale, le bureau de l’Assemblée nationale aurait pu le déclarer irrecevable au motif qu’il n’était pas le bon véhicule législatif pour relever l’âge légal de départ à la retraite. Mais aucun des parlementaires avec qui j’ai discuté ne le savait.

Malheureusement, les élus ignorent la Constitution et la philosophie des règles, car ils ne sont eux-mêmes mus que par leur seule volonté d’agir, sans s’intéresser à ce que la Constitution pourrait représenter : un cadre limitant leur action. Aujourd’hui, c’est celui qui connaît le mieux les procédures qui a une sorte de bonus constitutionnel, car seule une infime minorité connaît les règles du jeu.

La Constitution doit-elle être modifiée ?

Beaucoup pensent que cela est nécessaire parce qu’il y a clairement un manque de démocratie et une extension continue des pouvoirs de l’exécutif. Mais, pour que cela ait des effets positifs, il faut aussi changer notre représentation de la Constitution. Est-ce une limitation ou une ressource ? Si elle est considérée comme une ressource malgré un changement de texte, nous serons inévitablement confrontés un jour ou l’autre aux mêmes problèmes.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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