Levez-vous, vous prenez la place d’un blanc ». Toute ma vie, ça m’est resté. Plus jamais, je ne me suis assis dans le métro
Légende du tambour et juré emblématique de la « Nouvelle Star », Manu Katché joue avec les plus grands (Sting, Peter Gabriel, Jonasz, Cabrel, Youssou N’dour, Souchon, etc.). Pour Yahoo, et en exclusivité dans le « Face Katché », il a souhaité rencontrer des personnalités de la diversité, célèbres ou anonymes. Leurs histoires, émouvantes, inspirantes, leurs parcours de vie : ils parlent au batteur le plus célèbre de France.
Il est l’un des chanteurs français les plus connus et appréciés de sa génération. De « Cœur grenadine » à « Belle-Île-en-Mer » en passant par « Rockcollection », Laurent Voulzy, de son vrai nom « Lucien », a marqué les esprits et continue encore aujourd’hui, après plus de 40 ans de carrière, à surprendre ses les aficionados. Au micro de Yahoo, dans l’émission de Manu Katché, « La Face Katché », l’artiste de 75 ans a évoqué son parcours, revenant notamment sur le racisme et les discriminations sociales dont il a été victime.
Auteur, compositeur, interprète et musicien, Laurent Voulzy a grandi à Nogent-sur-Marne dans la banlieue est de Paris, loin des plages de sable fin et des cocotiers que peut offrir la Guadeloupe, d’où il est originaire. Comme il l’explique, sa mère a quitté son île natale peu avant sa naissance pour rejoindre la France afin de tenter une carrière de danseuse et chanteuse dans la capitale. Mais obligée de partir en tournée dans le cadre de son travail, elle le confie à une nounou située dans le 18e arrondissement de Paris. Le jeune garçon apprend donc à vivre loin de sa mère, sans référence. « Je n’ai pas de mauvais souvenirs mais ce n’était pas de la joie », il se souvient. Nourri aux frondes, il commence à développer le rachitisme et est confié à une autre famille d’accueil, à l’âge de cinq ans, à Nogent-sur-Marne.
« J’étais le seul enfant coloré à l’école, un jour à la récréation, des garçons m’ont attrapé »
Dès son plus jeune âge, le jeune garçon se sent différent et devient très vite, au gré des commentaires, gêné par sa couleur de peau. Cela commence dès le début de sa scolarité. Timide de nature, loin d’être « un pirate », Laurent Voulzy devient alors la cible de ses camarades de classe. « Un jour, à la récréation, des garçons m’ont attrapé, m’ont tenu les bras autour d’un arbre et m’ont dit : Blanche-Neige, tu dois manger de la neige.. À son grand désarroi, il est le seul enfant coloré de son école. Une différence qu’il vit mal. « Les enfants peuvent être cruels »» déplore-t-il en expliquant qu’il a trouvé sa mère quand il avait huit ans, une bouffée d’air frais.
« Hé, y a les nègres qui sortent les poubelles”
Mais même chez lui, entouré de sa famille, les insultes racistes continuent. Alors qu’il avait dix ans, un voisin de son immeuble lui a manqué de respect : «Hé, y a les nègres qui sortent les poubelles”, dit-il haut et fort à sa femme, comme pour le mettre mal à l’aise. C’en est trop pour le petit garçon qui devient alors fragilisé par tous ses propos, une fragilité dont il conserve les stigmates. Adolescent, par exemple, Laurent Voulzy était « marqué à vie » par une réflexion sur un bus. Alors qu’il est assis, il se voit attaqué par une femme qui lui dit : « Lève-toi, tu prends la place d’un blanc ». Plus jamais il n’osera s’asseoir dans le bus ou le métro de peur de prendre « le lieu » blanc. « J’ai toujours eu peur de tomber sur un idiot qui me ferait un commentaire. »
Heureusement, le racisme ne l’empêche pas de faire ce qu’il aime : la musique. Baigné de culture créole, de musique antillaise et afro-cubaine, le jeune garçon découvre la guitare, s’y met et organise ses premiers concerts. Il finit par monter de petits groupes de musique, une passion qui le détourna de sa scolarité. Finalement, le jeune homme a fait de la musique son métier. Un travail grâce auquel il rencontre Alain Souchon, son acolyte. De ce duo sont nés de grands succès comme « J’ai 10 ans », « Rockollection » et « Bidon ».
« J’ai l’impression d’être antillaise, même si j’aime profondément la France »
Mais Laurent Voulzy n’oublie pas ses origines. C’est à l’âge de 35 ans qu’il ressent le besoin de partir en Guadeloupe. « Je pars seul et me rends dans la ville de Sainte-Anne. Et là, je longe le marché, je vois des gens, je sens des odeurs et mes larmes se mettent à couler. J’ai soudain ressenti tout ce que j’avais enfoui en moi. il se souvient avec émotion. « Du coup, tous les sarcasmes que j’avais reçus en métropole me sont revenus. Je me suis dit que tous les gens ici avaient au moins ma couleur, sinon ils sont plus foncés ». Avant d’ajouter : « C’est fou. Je n’aurais jamais subi ça ici. Aujourd’hui, bien qu’il aime profondément la France, Laurent Voulzy dit « se sentir antillais ». « On peut aimer les deux », il ajoute, avant de résumer très joliment : « C’est un cadeau d’être assis, non pas les fesses entre deux chaises, mais dans deux fauteuils. »