Comment les athlètes français en situation de handicap ont été amenés aux Jeux de Paris en un temps record
Détectés il y a quelques années seulement, parfois juste après un accident, plusieurs athlètes de la délégation française vivent à Paris leur première expérience paralympique.
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« J’ai commencé le parataekwondo il y a cinq ans, je ne faisais aucun sport. Aujourd’hui, gagner une médaille à Paris, c’est vraiment magnifique ! » Les propos de Djelika Diallo, médaillée d’argent dans la catégorie K44 (-65 kg) aux Jeux paralympiques, vendredi 30 août, illustrent l’ascension fulgurante que peuvent connaître certains athlètes en situation de handicap.
Repérée lors d’une journée sportive scolaire dans son établissement d’Epinay-sur-Seine à l’âge de 14 ans, rien ne prédestinait la native de Stains (Seine-Saint-Denis), qui souffre d’une paralysie du plexus brachial (un réseau nerveux situé à la base du cou) depuis sa naissance, à briller au plus haut niveau. Mais force est de constater qu’à Paris, elle est loin d’être la seule à avoir la même trajectoire.
Alors que les fédérations sportives organisent leur propre scouting, le programme de détection des futurs talents paralympiques lancé en 2019 par le Comité paralympique et sportif français (CPSF), baptisé La Relève, a agi comme un accélérateur de particules.
« La première étape est d’accompagner une personne motivée par la compétition en fonction de sa situation de handicapexplique Jean Minier, directeur des sports du CPSF. Une fois cela expliqué, nous recommandons les nombreux sports existants, que nous comparons avec les envies de la personne, son passé sportif, son âge, sa zone géographique… puis elle évolue sous le regard des recruteurs, qui ont un œil encore plus fin sur la catégorie dans laquelle elle est susceptible d’atterrir. Nous expérimentons ce modèle sur des personnes de 20 à 35 ans, mais il pourrait être appliqué à plus grande échelle avec davantage de moyens. »
En cinq éditions, plus de 800 personnes ont été interviewées et 250 ont participé à des épreuves tests. Cet été, neuf personnes participeront aux Jeux paralympiques, dont cinq font partie de la toute jeune équipe de France de volley-ball assis.
« Dès que nous avons eu la délégation ministérielle en 2017, nous savions que nous avions les Jeux en 2024explique Chrystel Bernou, chef de projet à la Fédération Française de Volley-ball. Il fallait en profiter pour faire du développement. Un peu de lobbying aussi. Car les fédérations sportives se battent parfois pour les mêmes profils.
« Il faut vendre les qualités de son sport. Le volley-ball assis est un sport d’équipe, sans contact avec l’adversaire, qui est aussi très inclusif, ajoute Chrystel Bernou. On peut jouer avec d’autres personnes handicapées, mais aussi valides, dans un mélange d’hommes et de femmes. C’est ce qui fait la force et ce qui attire les gens. »
« La Relève nous a beaucoup aidéreconnaît Eric Le Leuch, qui encadre les Bleus du paracanoë. Nos adversaires, notamment les Britanniques, le font depuis des années. Ils encadrent et offrent aux sportifs la possibilité de pratiquer des sports avec les handicaps correspondants. Ils le font même dans des centres de rééducation.
C’est dans l’un de ces centres qu’Eléa Charvet a vu s’ouvrir les portes du monde paralympique. Il y a un peu plus de trois ans, après un accident de scooter, la jeune femme, qui pratiquait le canoë VL3 (athlètes avec fonction complète du tronc et fonction partielle des jambes) à Paris devient amputé fémoral de la jambe gauche. « C’était très compliqué, j’avais 18 ans, j’étais très jeune, je voulais rester dans mon coin »se souvient-elle. Elle rencontre alors l’association Comme les autres, qui propose un accompagnement social boosté par le sport et les sensations fortes. « La kiné qui m’a aidé dans ma rééducation faisait partie de cette structure, elle m’a encouragée à y aller même si j’étais très réticente. Aujourd’hui je peux dire que c’est l’un des meilleurs choix de ma vie. »
Sous l’impulsion de l’association, le natif de Bayonne découvre « le nouveau monde qui (lui) appartient après le handicap » et est amenée à aller plus loin, en réussissant les épreuves du programme La Relève en 2023. Elle s’essaie au paracanoë sur un ergomètre spécifique et fait déjà ses preuves.
« Là, on m’a dit : ‘Si tu t’entraînes bien, tu as la capacité d’aller loin’dit la femme qui retournera à l’école de physiothérapie après les Jeux. La première année, tout était sympa, c’était une bouffée d’air frais dans ma petite vie. La deuxième année, j’ai intégré l’équipe de France. J’ai découvert les compétitions internationales, j’ai pris conscience de ce qu’était le haut niveau et qu’en fait, c’était totalement foiré ! Je me suis dit que je vivais probablement mon rêve, mais c’était impossible à réaliser… »
Abel Aber, lui-même, ne veut pas « faire une chose entière » de ces Jeux à domicile. L’imposant athlète de 38 ans, également en lice en canoë VL3 à partir du vendredi 6 septembre, sait d’où il vient. C’est la boxe qui avait toujours été privilégiée par le Vosgien, qui avait été amputé de la jambe droite en 2003 après un accident de la route, au point d’avoir combattu plusieurs valides grâce à sa prothèse. Jusqu’à ce qu’il découvre le canoë, un peu par hasard, en 2019.
« Le CPSF parlait d’une grosse ambition pour Paris 2024. Je me suis retrouvée dans ce discours, car j’ai longtemps été très réfractaire à une certaine vision du parasport. Il y avait souvent cette dimension d’entraide, de cohésion sociale, mais pas de recherche de performance. »
Abel Aber, membre de l’équipe de France de paracanoëà franceinfo : sport
« J’ai participé à la détection, un représentant de la Fédération Française de Canoë-Kayak m’a orienté vers le 200 sprint je suis sur un ergomètrese souvient d’Abel Aber. Je l’ai envoyé comme une brute, ils ont aimé ! Ensuite, j’ai appris les ficelles du métier pour arriver dans le top 8 mondial. Aujourd’hui, je suis triple champion de France et vice-champion d’Europe. »
Dans le bassin de Vaires-sur-Marne, il voudra continuer à étoffer son palmarès avec la première médaille paralympique de sa carrière. Et il pourrait marcher dans les pas d’Erika Sauzeau, passée elle aussi par La Relève et qui ne connaissait rien à sa discipline deux ans avant de décrocher le bronze à Tokyo en para-aviron en 2021. « Ce n’est pas du tout un sport que j’aurais choisi de moi-même, car je ne faisais que du sport en fauteuil.elle a expliqué à franceinfo : le sport en 2022. J’ai fait du basket et j’ai découvert le tennis. En plus, je suis très frileuse… Et puis, j’ai tout de suite accroché. Comme quoi, parfois, il faut aller découvrir ! On peut se révéler dans un sport et y trouver quelque chose d’intéressant.