« Un repère, le mât de l’équipe »… Au cécifoot, les gardiens, seuls joueurs voyants, maîtrisent l’art de la communication
Parmi les 10 joueurs qui composent l’équipe de France paralympique de cécifoot, les deux gardiens de but sont les seuls athlètes voyants. Leur mission outre arrêter le ballon : communiquer des informations sur le jeu à leurs partenaires.
« Ça arrive », « un mètre : barrière », « à gauche », « reviens en arrière »… Du dimanche 1er au samedi 7 septembre, ces mots résonneront dans toutes les langues au pied de la Tour Eiffel, où se déroulera le tournoi paralympique de cécifoot. Dans le football pour aveugles, qui se joue à cinq contre cinq sur un terrain entouré de barrières, la communication est la clé pour progresser vers le but adverse.
« Au plus haut niveau, chaque demi-seconde gagnée est importante.assure le défenseur international Gaël Rivière, en retirant son bandeau à la fin d’un entraînement des Bleus dans un complexe de foot à 5 de Meudon (Hauts-de-Seine), au cours duquel il a effectué de nombreux tacles bien ciblés. Il est essentiel de savoir quand votre équipe a gagné ou perdu le ballon. Mais lorsque nous, les joueurs de champ, sommes pris dans l’intensité du jeu, nous n’avons parfois pas le temps de dire « j’ai gagné » ou « j’ai perdu ». C’est pourquoi le gardien de but, seul joueur voyant de l’équipe, a un rôle très particulier.
Au cécifoot, l’espace de jeu est divisé en trois parties. La première se situe sur le front offensif, où un guide placé derrière le but adverse prévient les attaquants lorsque le ballon est là. Au milieu de terrain, seul l’entraîneur est autorisé à communiquer. Il en va de même pour la zone défensive avec le gardien, qui ne peut s’aventurer à plus de deux mètres de son but.
En plus de protéger son but avec des réflexes qui se rapprochent davantage du handball, la mission du gardien est donc de « gérer la défense », explique le sélectionneur français, Toussaint Akpweh. Pour cela, il va utiliser l’ouïe, et parfois le toucher, de ses coéquipiers. Contrairement à la plupart de ses collègues de corporation, qui se sont lancés dans le cécifoot presque par hasard après une banale discussion avec un passionné de la discipline, Benoît Chevreau a déjà été sensibilisé à la question du handicap par sa grand-mère, bénévole dans une association pour personnes aveugles. L’un des deux gardiens de but de l’équipe de France paralympique (avec Alessandro Bartolomucci) elle a donc rapidement compris sa mission dès ses débuts en 2015.
« Ce n’est pas un conseil : je suis comme une source supplémentaire d’informations et de compréhension du jeu pour le joueur de champ. Mais il reste maître de ses décisions. »
Benoît Chevreau, gardien de but de l’équipe de France de cécifootà franceinfo : sport
« La collecte et l’analyse des informations sont très importantes pour nous, nous en recevons beaucoup en même temps et nous devons avoir la capacité de trier celles dont nous avons besoin à un moment donné… Cela va toujours à mille à l’heure », « Quand le gardien dit quelque chose, les joueurs doivent l’entendre par-dessus le bruit, mais aussi garder leur attention sur le bruit du ballon avec les cloches pour le localiser, sur la présence d’adversaires ou sur la zone où trouver un partenaire. »
D’où la nécessité pour les derniers remparts d’optimiser leur communication, avec une question comme boussole : comment mon coéquipier va-t-il recevoir les informations que je lui transmets ? « Ils peuvent changer l’intonation et le son de la voix, et aussi les formulations en variant le nombre de mots. Quand un athlète agit sur un projet défensif, une phrase est un handicap. C’est contre-productif, presque dangereux. Il faut donc aller vers le plus concis, pour que les mots claquent. »souligne Toussaint Akpweh, à la tête de la sélection depuis 1998.
Mais si le vocabulaire utilisé est proche de celui du football à 11, les gardiens tentent le plus souvent de s’adapter aux sensibilités de chacun des joueurs déficients visuels. « Par exemple, si je dis « gauche », je sais que certains défenseurs auront tendance à faire un pas de côté, tandis que d’autres tourneront vers la gauche. Ce n’est pas exactement la même chose », explique Lucas Grosset, gardien du RC Lens Cécifoot, régulièrement appelé en équipe de France depuis deux ans.
« Je m’efforce de m’adapter aux préférences des joueurs, de ne pas forcément utiliser un discours universel. Il faut parler, mais parler intelligemment, pour les mettre dans un meilleur confort. »
Lucas Grosset, gardien international de cécifootà franceinfo : sport
L’autre particularité concerne les relancements. « Lors de ma première sélection en équipe de France, j’avais voyagé avec le sélectionneur de l’époque et, dans le train, il m’avait dit de profiter du début du stage pour savoir quel joueur voulait avoir son ballon à quel poste », poursuit Benoît Chevreau, qui habite à Schiltigheim, dans la banlieue de Strasbourg.
Autrement dit, « Le facteur temps joue sur la complicité sur et en dehors du terrain »confirme Hakim Arezki, qui a perdu la vue lors d’une manifestation étudiante en Algérie en 2001. « Indiquer clairement quand il y a un escalier, un trottoir… Ces petits détails font partie de la confiance et ça se ressent aussi dans le jeu », Le juge Lucas Grosset. Une présence dans la vie commune que recherche le coach Toussaint Akpweh, selon qui le gardien « doit être un point de repère, comme le mât de l’équipe. »
Il n’en demeure pas moins que seule la partie défensive du terrain peut s’exprimer – dans les douze derniers mètres « ou même un peu plus si on gratte avec un petit étau », « Les gardiens doivent se mettre d’accord au préalable avec l’entraîneur et le coach offensif sur la stratégie à mettre en place, a déclaré Lucas Grosset. Pour ne pas créer trop d’interférences au moment de passer le relais dans la communication. »
Mais, alors que tous les acteurs sur le terrain tentent de faire le tri dans la multitude d’informations émises, le patron de la défense peut aussi tenter d’influencer les décisions prises par les adversaires. Dans ce cas, chacun y va de son petit conseil. Si Benoît Chevreau a tendance à « saturer le son de sa voix pour empêcher l’attaquant de récupérer le ballon dans la surface »Lucas Grosset tente de forcer la frappe.
« Le fait qu’il m’entende, je sais que cela peut augmenter son envie de tirer et moi, à ce moment-là, je suis prêt. D’ailleurs, mes défenseurs sont conscients. Ils savent qu’ils doivent absolument se mettre entre le ballon et le but pour maximiser les chances de contre-attaque lorsque je hausse la voix », révèle le Lensois, qui, en dehors de cette phase, s’exprime « toujours calmement, même dans les situations d’urgence » afin de ne pas perturber la sérénité de ses coéquipiers.
Au contact de ces derniers, de véritables « forces de la nature », Les gardiens de but ont, de leur propre aveu, tous appris sur le plan humain en jouant au football pour cécidés. « Je suis une personne très timide et introvertie dans l’âme et cette discipline m’a permis de m’ouvrir », précise Benoît Chevreau. Une alchimie collective que les Bleus devront faire fructifier cet été, dès la phase de poules face à la Chine (dimanche 1er septembre), au Brésil (2 septembre), champion paralympique en titre, et à la Turquie (3 septembre), pour faire oublier leur 8e place à Tokyo et décrocher une médaille à domicile. Un passage obligé pour faire grandir encore ce sport et en démocratiser l’accès. Un enjeu sociétal pour l’après Paris 2024.