Test : Emio – L’Homme Souriant raconte ses crimes à l’imparfait
L’écriture est assurée par le vétéran Yoshio Sakamoto, qui avait déjà écrit l’intrigue des premiers épisodes. Dans une récente vidéo promotionnelle, le producteur historique de Metroid plaçait beaucoup d’espoir dans cette nouvelle cartouche vendue au prix fort. On y retrouve l’agence de détectives Utsugi, son assistante Ayumi Tachibana ainsi que son protagoniste anonyme et amnésique dont les parents disparus ne sont évoqués qu’en passant dans un simple dialogue. Toute l’attention est focalisée sur le meurtre d’un collégien, retrouvé étranglé près d’une station de pompage isolée. Fait troublant, le visage du cadavre est caché par un sac en papier kraft sur lequel un sourire est griffonné au feutre noir. Cela correspond très exactement à la légende urbaine d’Emio, un tueur en série sadique qui apparaît devant des jeunes filles en pleurs pour leur offrir un » sourire pour l’éternité » après les avoir étouffées avec ses mains, et qui avait déjà tué trois femmes 18 ans auparavant…
Il avait l’Emio
L’intrigue se déroule dans la petite ville rurale de Kofuku, où le centre-ville se limite à une gare entourée de quelques restaurants. Autour de celle-ci, des rizières à perte de vue. Le cadre permet à Yoshio Sakamoto de se concentrer sur une poignée de personnages centraux, comme le veut la grande tradition des romans policiers. On y croise l’enquêtrice Junko Kuze, sérieuse jusqu’à en mourir ; son assistant Daisuke Kamihara et ses perpétuelles facéties de beau gosse ; le vieux commissaire Kamada ; et enfin le professeur Tsubasa Fukuyama, qui ne cache pas son affection un peu déplacée pour notre amie Ayumi, malgré son désir évident de réussir à l’école. Ces quatre personnages principaux sont entourés d’un casting haut en couleur qui sèmera naturellement la confusion dans nos recherches.
Bien sûr, Emio – L’homme souriant reste un roman visuel classique au déroulement parfaitement linéaire, qui déconcertera inévitablement les néophytes habitués aux évolutions du genre. C’est d’ailleurs notre principal reproche. Si l’interface a été retravaillée depuis les remakes, la structure reste quasiment identique. Chaque situation nécessite de choisir les bonnes situations dans le bon ordre : épuiser notre liste de questions automatiques, réfléchir un peu pour débloquer une impasse, examiner le décor ou un individu stoïque pour en percer les mystères… A tel point que la rigidité en devient presque comique lorsqu’il faut sélectionner plusieurs fois la même option alors qu’il suffirait de jouer le dialogue d’une seule traite pour nous permettre de progresser.
Cependant, Yoshio Sakamoto et l’équipe de MAGES apportent une souplesse bienvenue. Les termes importants sont toujours notés dans notre carnet, mais aussi surlignés en orange dans le texte, ce qui aidera les oublieux à se repérer dans le flux des dialogues. La fonction « penser » nous indiquera également la bonne action à effectuer si nous nous retrouvons momentanément bloqués, ce qui rend ce bouton plus intéressant que par le passé.
Le sentiment demeure que Emio – L’homme souriant a trop peur de changer de formule au nom d’une certaine nostalgie qui semble presque déplacée dans ce nouvel épisode, après les remakes : Chaque chapitre se termine par une sorte de quizz résumant les informations apprises durant les dernières minutes, ce qui nous donne l’impression d’être un élève de CE1 questionnant au tableau des faits criants d’évidence. D’autant que rater ces quizz ne change rien. C’est juste un rappel. Les premières heures s’avèrent donc particulièrement lourdes à notre goût, puisque les dialogues n’avancent déjà pas très vite, et la répétition incessante d’informations de base fait traîner l’intrigue jusqu’à ce que nos semelles proverbiales s’usent.
Emio chatouille-moi
C’est dommage car une fois passés les premiers chapitres, Émio s’engage soudainement dans une histoire particulièrement perfide, que l’on pourrait presque qualifier d' »audacieuse » dans le catalogue Nintendo. On y retrouve bien sûr le mystérieux tueur éponyme, mais aussi le frère disparu de l’inspecteur Kuze, disparu dans la nature en même temps que les premiers meurtres 18 ans plus tôt. » Il y a un lien, mais lequel ? » se demanderont les lecteurs avertis. Si la conclusion peut paraître très tirée par les cheveux à première vue, le grand résumé final permet de revoir les détails avec un œil neuf, ce qui aide à mieux saisir les enjeux avec une série de coups au foie qui font parfois mouche. Sakamoto avait promis une fin » diviseur » et je pense clairement que cela va faire couler un peu d’encre. On en ressort amer. Ce n’est pas Se7enmais ce n’est pas non plus le professeur Layton.
Il faut dire que si Nintendo ne profite pas de son autocollant PEGI 18 pour compliquer le gameplay, Emio – L’homme souriant reste assez sombre, avec du sang et des larmes. Cela peut faire sourire les amateurs de romans policiers. Mais à part les gros mots disséminés dans le texte, roman visuel aborde de front des problèmes complexes, tels que la violence domestique et le suicide chez les adolescents, sans mâcher ses mots. Notre protagoniste (et deux ou trois personnages secondaires) injecte néanmoins une touche de légèreté avec des touches bienvenues d’humour absurde, qui allègent l’atmosphère sans pour autant virer à la comédie.
Le fabricant de consoles de Kyoto enveloppe cette intrigue tordue dans un magnifique décor visuel où chaque personnage est représenté par un joli modèle 3D animé à la manière d’un roman visuel classique, par des expressions coupées. L’effet s’avère original, d’autant que MAGES en profite pour délivrer des seconds couteaux expressifs sans pour autant verser dans la bouffonnerie. Les décors sont également bien réalisés. Notons enfin (et c’est peut-être une première dans nos colonnes) que le logo est très intelligemment dessiné… Peut-être comprendrez-vous ce que je veux dire une fois le générique de fin lancé. En tout cas, Nintendo se donne les outils pour faire décoller la franchise, sans pour autant les utiliser encore. Espérons qu’un quatrième épisode principal viendra redonner un coup de boost à la structure pour moderniser l’ensemble sans dénaturer l’aspect « rétro ».