Comment 6 milliards se sont évaporés
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La promesse d’une manne fiscale de plusieurs milliards d’euros s’est transformée en mirage. Découvrez les coulisses d’un échec retentissant qui soulève des questions cruciales sur la capacité de l’État à faire contribuer équitablement les géants pétroliers.
Résumé :
- Taxe sur les super profits des raffineurs devrait rapporter jusqu’à 6 milliards d’euros
- Finalement, elle ne l’a pas fait. généré seulement 69 millions euros de revenus
- Le ciblage trop restrictif de la mesure 72 % des bénéfices excédentaires ont été laissés échapper à l’impôt
- Les entreprises ont massivement recours au « report en avant » pour réduire leurs bénéfices excédentaires imposables
- L’optimisation fiscale des géants pétroliers, notamment via les paradis fiscaux, a limité l’efficacité du système
- Des réformes sont envisagées pour améliorer la fiscalité des superprofits aux niveaux national et international
Dans 2022Alors que les prix de l’énergie montaient en flèche et que les géants pétroliers engrangeaient des profits records, la France a mis en œuvre une impôt sur les super profits des raffineurs. Cette mesure, censé renflouer les caisses L’objectif de l’Etat et d’apaiser le mécontentement social était porteur de grands espoirs. Pourtant, deux ans plus tard, force est de constater que la montagne a accouché d’une souris. Comment expliquer un tel décalage entre les ambitions affichées et la réalité des chiffres ? Décryptage d’un fiasco fiscal aux lourdes conséquences pour les finances publiques.
Un impôt aux ambitions déçues
Les premières estimations laissaient présager une véritable manne pour les caisses de l’État. Les chercheurs de l’Institut de politique publique (IPP) comptaient sur des revenus entre 3 et 6 milliards d’eurosLe gouvernement, plus prudent, avait avancé le chiffre de 200 millions d’euros. La réalité s’est avérée bien plus décevante : seulement 69 millions d’euros ont été collectés.
Cette déception s’explique en partie par la portée limitée de la taxeMis en place sous l’impulsion de l’Union européenne, le dispositif fiscal ne concerne que les activités d’extraction et de raffinage sur le sol européen. Elle laisse donc de côté les autres activités des majors pétrolières, ainsi que leurs opérations hors du Vieux Continent. Une première limitation qui réduit considérablement l’assiette fiscale potentielle.
Les failles du système
La première explication de cet échec réside dans la Ciblage trop étroit de la mesureLe gouvernement a choisi de cibler uniquement les entreprises dont « l’activité réelle » est le raffinage. Cette définition a eu des conséquences désastreuses sur l’efficacité du système.
En effet, ce choix a permis à de nombreuses entreprises deéchapper à l’impôt en externalisant l’activité de raffinagetout en gardant le contrôle sur toute la chaîne de valeur. Résultat : 72 % des bénéfices excédentaires du secteur ont échappé au filet fiscalUn trou béant qui pose question sur la capacité de l’État à concevoir des systèmes fiscaux adaptés aux réalités complexes des multinationales.
Le deuxième défaut majeur du système réside dans l’utilisation massive par les entreprises du mécanisme de « Report en avant » des pertes fiscalesCe système, qui permet de déduire les pertes enregistrées les années précédentes des bénéfices futurs, a été largement utilisé par les raffineurs pour l’année 2022.
🚨 La taxe sur les super profits des raffineurs rapporte 69 millions d’euros au lieu des 3 à 6 milliards d’euros espérés !
Quoi ?!
Et bien oui, 72% des super profits échappent à l’impôt…
Par exemple, Total paie 31 % de ses impôts aux Pays-Bas pour 3 % de ses ventes.
Ils sont forts, n’est-ce pas ? pic.twitter.com/QLxg48i4xN
— MoneyRadar (@MoneyRadar_FR) 19 août 2024
Concrètement, cette astuce comptable a autorisé à réduire le bénéfice excédentaire imposable de 20 %. Une baisse significative qui a encore réduit l’efficacité de l’impôt. Cette utilisation opportuniste des règles fiscales pose la question de la pertinence de maintenir de tels mécanismes en l’état, notamment dans le cadre de mesures exceptionnelles comme l’impôt sur les super profits.
Optimisation fiscale des géants pétroliers
L’exemple de TotalEnergies illustre parfaitement les stratégies d’optimisation fiscale mises en œuvre par les géants du secteur. Alors que la France représente 51% des ventes européennes du groupe et 56% des emploiselle ne perçoit que 4% d’impôt payés au niveau continental. Un déséquilibre flagrant qui démontre l’habileté des multinationales à orienter leurs profits vers les juridictions les plus favorables.
Dans ce jeu d’évasion fiscale, le Pays-Bas se portent bien. Ce paradis fiscal européen reçoit 31% des impôts payés par TotalEnergies sur le continent, pour seulement 3% des ventes réalisées. Une situation qui met en évidence les limites des systèmes fiscaux nationaux face à des entreprises opérant à l’échelle mondiale.