Comment la Chine entend-elle maintenir sa suprématie mondiale ?
Le raz-de-marée s’est déchaîné avec un grondement sourd. Presque inaudible, comme le bruit d’un moteur électrique. L’avènement planétaire de l’automobile chinoise ressemble plus à la puissance fluide du fleuve Yangtze qu’aux gesticulations éruptives d’un Elon Musk. Le résultat est impressionnant.
Les voitures chinoises représentent environ 35 % des exportations mondiales de véhicules électriques. 40 % de ces véhicules sont destinés à l’Europe, où leur part de marché est passée de 0,5 % en 2019 à 9,3 % en 2023. Pas de tsunami donc, juste une montée brutale du niveau des eaux, dont il faut remonter à la source pour en mesurer l’ampleur.
La R&D au cœur de la bataille
La Chine n’est pas qu’une usine automobile. Loin de là ! L’industrie automobile chinoise est une affaire d’État dans laquelle l’Empire du Milieu contrôle toute la chaîne de valeur. Celle de l’assemblage des véhicules, celle de leur distribution, mais aussi plus en amont celle du traitement et du raffinage des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries. Elles représentent 40 % de la valeur d’un VE. La Chine fournit 75 % des batteries mondialesCentre névralgique de nos voitures, la batterie est aussi au cœur de la bataille technologique menée par la Chine contre les autres grandes puissances automobiles. Pour garder une longueur d’avance sur la concurrence, Pékin, fin connaisseur du jeu de Go, développe la stratégie de territoire et d’influence qui consiste à encourager et subventionner toujours plus la recherche et le développement. La Chine est le pays qui publie le plus d’articles de recherche « d’impact » au monde, selon une étude de la fondation américaine Itif¹ (Information Technology & Innovation Foundation).
En 10 ans, les centres de recherche chinois ont multiplié par dix le nombre de publications. De 20 à 200 en 2023. La même année, l’Europe en a publié 150, selon l’Itif. Au-delà de la quantité, c’est la qualité des publications qui fait autorité. En 2023, la Chine a publié 65 % de recherches à fort impact (avec un potentiel de développement majeur dans la production) contre 12 % pour les États-Unis et 2,8 % pour l’Allemagne.
660 brevets déposés en 2023
Le nombre de brevets déposés par la Chine est également impressionnant. Sur les moteurs électriques, pas moins de 660 brevets ont été déposés en 2023, contre 13 en 2003. Pékin devance l’Allemagne (400 brevets), deuxième pays au monde dans ce domaine. Au cours des dix dernières années, la Chine a augmenté de 2 000 % son nombre de brevets concernant l’ensemble du secteur électrique. À titre de comparaison, sur la même période, les États-Unis ont augmenté leur nombre de brevets dans ce domaine d’environ 242 % et le Japon de 46 %.
Pékin encourage et subventionne fortement le développement des véhicules électriques. Entre 2009 et 2023, selon Itif, La Chine aurait investi 230 milliards de dollars en subventions et autres aides pour l’industrie automobilePour développer la prochaine génération de batteries à l’état solide, le gouvernement chinois a accordé 830 millions de dollars à des entreprises telles que FDB, CATL et BYD. Le premier fabricant mondial de batteries, CATL, a ainsi investi plus de 2 milliards d’euros l’an dernier dans ses unités de recherche et développement, qui emploient 18 000 personnes. Le numéro deux, également constructeur automobile, BYD, a investi 5 milliards d’euros.
Impact direct sur votre voiture
Cette forte implication financière dans la R&D a un impact direct et concret sur l’automobile. Selon l’Itif, ces investissements ont notamment permis de développer la technologie des batteries LFP (Lithium-fer-phosphore), dont l’avantage est qu’elle coûte moins cher que ses homologues nickel-aluminium (utilisées par Tesla) et vers laquelle tous les constructeurs automobiles se tournent pour baisser le coût de leurs véhicules. En février 2023, Ford a annoncé qu’il allait investir 3,5 milliards de dollars pour construire une usine LFP, ce qui en fait une réalité « Connaissances et services sur les cellules de batterie fournis par CATL »Le mois suivant, GM était également en pourparlers avec CATL. « sur la création d’une usine de production de batteries en Amérique du Nord »En novembre 2023, Stellantis a signé un accord stratégique (MoU) avec CATL pour l’approvisionnement local de batteries LFP sur le marché européen. Aujourd’hui, Les batteries LFP représentent environ 40 % du marché mondial des véhicules électriques. CATL a même annoncé en avril dernier avoir développé sa batterie LFP « Shenxing Plus », capable d’une autonomie de 1 000 km sur une seule charge. Les forts investissements de la Chine en R&D ont également permis le développement de batteries « ambulantes », dont les cellules placées verticalement améliorent la compacité de la batterie. Par ailleurs, la Chine représente près de 90 % de la capacité mondiale en cathodes actives et plus de 97 % pour les anodes, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Où sont les Occidentaux ?
Pour contrer l’avancée chinoise, les pays occidentaux misent sur l’avènement d’une nouvelle technologie. Celle des batteries solides, plus denses en énergie, pour remodeler le paysage concurrentiel de l’industrie des batteries. BMW compte lancer son premier prototype basé sur la technologie ASSB de Solid Power d’ici 2025. Sur cette technologie, Toyota et Nissan a exprimé son intention « pour atteindre la production de masse vers 2028. » En décembre 2023, le constructeur chinois de véhicules électriques Nio a dévoilé sa berline ET7 équipée d’un pack de batteries semi-solides de 150 kWh avec plus de 1 000 bornes d’autonomie. En avril 2024, le constructeur automobile chinois GAC (également fabricant de batteries LFP) affirmait avoir développé un ASSB de même capacité capable d’équiper ses Hyper EV dès 2026. L’Empire du Milieu entend rester le centre gravitationnel de la mobilité électrique.
1 Itif, 29 juillet 2024, Dans quelle mesure la Chine est-elle innovante dans les secteurs des véhicules électriques et des batteries ?