le terrible bilan des émeutes de l’été
Dans un rapport d’information, le sénateur François-Noël Buffet dresse 25 propositions pour renforcer les moyens de l’État et des maires.
« Comprendre, évaluer, réagir »… Le président LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, a travaillé sur « les émeutes de juin 2023 ». Après 80 auditions, plusieurs visites de terrain et une consultation lancée auprès des communes touchées par ces événements, il a produit, le 10 avril, un rapport détaillé qui vaut tant par l’analyse de ce qui a pu se passer pendant cette semaine de chaos que par les solutions fermes. il recommande d’éviter de nouvelles flambées de violence. L’élu l’affirme sans hésiter : « Rien n’indique qu’ils ne se reproduiront pas dans un avenir proche ».
D’emblée, il fait le point sur le bilan de cette séquence spectaculaire de l’été 2023, suite à la mort de Nahel Merzouk à Nanterre, lors d’une intervention policière très critiquée : « deux morts directement liés aux émeutes, l’un à Cayenne, l’autre à Marseille »mais aussi « plus d’un millier de blessés, dont des mineurs »notamment « 782 agents des forces de l’ordre – 674 policiers et 108 gendarmes – et 3 pompiers ». Enfin, « Au moins une quarantaine de blessés graves ont été recensés parmi les émeutiers ou dans la population ».
Un milliard d’euros de dégâts
La mission sénatoriale écrit : « L’estimation des dégâts atteint le chiffre, colossal et en nette augmentation par rapport à 2005, d’un milliard d’euros ». En outre, « les 16 400 sinistres déclarés aux assureurs représentent un coût de 793 millions d’euros, un montant quatre fois supérieur à celui des émeutes de 2005 ». Les remboursements des assureurs sont loin d’être tous effectués.
Le bilan matériel, il est vrai, est considérable : «Parmi les 2.508 bâtiments incendiés ou endommagés figurent 273 bâtiments des forces de l’ordre, 105 mairies et 273 écoles». Sans oublier d’ailleurs, « de nombreux véhicules de police ou de gendarmerie »depuis « 12 031 véhicules incendiés ».
Côté commerce, la mission évalue, en « estimation basse »ceux ayant fait l’objet d’abus « plus de mille ». D’après elle, « probablement 1.500 d’entre eux ont été vandalisés ou pillés, notamment 436 bureaux de tabac, 370 agences bancaires, environ 200 magasins d’alimentation, 200 magasins de vêtements et même 118 opticiens ».
François-Noël Buffet relaye, dans son rapport, le portrait type de l’émeutier de 2023, dressé par un inspecteur général de la Justice lors des audiences : « un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfants, souvent hébergé par ses parents, titulaire d’un diplôme d’études secondaires, bac maximum, majoritairement en travail. Plus précisément, 91 % des auteurs sont des hommes, 71 % sont de nationalité française. »
Un tiers de mineurs
Selon le ministère de l’Intérieur, « Un tiers des 3 500 personnes interpellées le 4 juillet 2023 sont des mineurs, la moyenne d’âge globale se situant entre 17 et 18 ans ». Mais le rapport Buffet apporte des éléments supplémentaires qui ne sont pas sans intérêt : « Si, d’un point de vue familial et socio-économique, les émeutiers se retrouvent dans des situations généralement plus fragiles et défavorisées que la moyenne, le constat de marginalité sociale semble devoir être nuancé. En effet, près des trois quarts des mineurs référés sont inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur ». A ses yeux, clairement, le » excuse « de marginalité et d’exclusion sociale, justifier les excès ne fonctionne pas.
Autre précision utile dans ce rapport : même si l’on pouvait expliquer d’emblée que la plupart des émeutiers étaient des primo-délinquants, environ 60%, « il reste une partie immergée de l’iceberg, qui échappe à tous les acteurs et qui semble être davantage constituée de personnes inscrites dans des cours de délinquance habituelle »estime François-Noël Buffet.
Le président de la commission des lois du Sénat rappelle que « Nous n’avons pris en compte dans ces premières analyses que les individus qui ont été appréhendés par les forces de sécurité intérieure et jugés dans les premières semaines qui ont suivi les émeutes. ». Autrement dit : l’analyse menée juste après les événements se concentre principalement sur ceux qui n’ont pas pu échapper à l’arrestation. Ceux qui ont couru le plus lentement ?
Établir un profil des émeutiers
Le sénateur, en tout cas, n’a pas peur de l’écrire : « Ainsi, la jeunesse et la surreprésentation des primo-délinquants parmi les condamnés pourraient – au moins partiellement – être relativisées au fur et à mesure que les investigations concernant les faits les plus graves se terminent. ». Et l’élu prévient : « Dans ce contexte, et plus de neuf mois après la fin des événements, la mission appelle donc le gouvernement à mieux exploiter les données dont il dispose afin de produire une véritable analyse du profil des émeutiers, démarche indispensable pour comprendre les dynamiques qui étaient à l’œuvre à l’été 2023. » Gare aux analyses hâtives au sein de l’exécutif, en somme.
Reste la question du remède. Pour la mission Buffet, il passe par 25 propositions très concrètes. D’abord, puisque « aucune préparation préalable à une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeute n’avait été établie » avec les événements de l’année dernière, il est essentiel de « moderniser » les moyens de rétablir et de maintenir l’ordre.
Cela implique la construction d’un « régime national » dédiée et une nouvelle doctrine de l’emploi qui permet au « décloisonnement et rezonage » le recours aux forces de sécurité ; une meilleure formation au tir et à l’usage des armes en contexte émeute ; plus de stocks de munitions et donc une rénovation de leur chaîne de production, pour éviter les pénuries en pleine crise ; davantage de caméras portées sur le corps pour sécuriser les opérations et fournir des moyens de preuve ; sans négliger le recours accru aux drones et à la vidéosurveillance.
« Matériaux de marquage codés »
Autre recommandation : mieux protéger les armureries et les bâtiments des forces de l’ordre. Et puis « expérimenter l’équipement et l’utilisation des matériaux de marquage codé en cas d’émeutes », en somme, l’aspersion de produits permettant de repérer la présence d’une personne en un lieu et à un moment donné, au moyen d’un canon à eau par exemple. Une solution déjà évoquée sous Castaner en 2019, lors de la « Gilets jaunes ».
L’éventail des solutions envisagées contre les émeutes est large : restreindre l’accès aux mortiers de feux d’artifice, y compris au niveau européen ; mieux contrôler les réseaux sociaux que les émeutiers utilisent pour s’organiser, quitte à bloquer certaines fonctionnalités lors de crises, sous certaines conditions. Le Sénat ouvre les portes. Le gouvernement, de son côté, va de l’avant. Notamment à travers des consultations ouvertes, ces derniers jours, par Gérald Darmanin, pour mieux impliquer les polices municipales dans la réponse sécuritaire.