Au Sénégal, Youssef Omaïs, le roi sans héritier du bouillon cube
Il existe un coin de Dakar, entre le port et la plage de la Voile d’Or, où les grilles et les murs gris se colorent d’un jaune et d’un rouge criards. Ce faubourg industriel de la route de Rufisque, avec ses nombreuses usines peintes aux couleurs de la marque agroalimentaire, est l’antre de Patisen. Et, au milieu, dans une maison discrète, vit son fondateur.
D’autres, sitôt leur fortune venue, auraient investi dans une villa pompeuse du Cap Manuel ou un appartement sur la corniche, avec vue imprenable sur l’Atlantique. Mais pas Youssef Omaïs. Sa silhouette longiligne, sa ligne de cheveux dégarnie, son regard inquiet font partie du décor de l’entreprise, l’une des premières du pays, avec ses quelque cinq mille salariés et sa large gamme de produits alimentaires qui parfument les cuisines sénégalaises, mais aussi maliennes, guinéennes et burkinabè.
Dans le Dakar des années 1970, les Omaï étaient connus pour leurs boulangeries, pâtisseries, services de traiteur, puis pour un salon de thé très prisé, Le Bruxelles. Cette famille d’origine libanaise, l’une des nombreuses du Sénégal, n’était ni riche ni pauvre, mais suffisamment prospère pour subvenir aux besoins de ses douze enfants. Youssef, le huitième, n’avait pas encore 20 ans lorsqu’il choisit d’abandonner le cyclisme de haut niveau, sa passion, pour rejoindre l’entreprise familiale.
« J’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire »
Dix ans après l’indépendance (1960), la jeune république était pleine d’espoir, mais Léopold Sédar Senghor (1906-2001), le poète-président, héritait d’une économie très agricole, peu productive, dépendante (déjà) des importations.
Youssef Omaïs, qui est un touche-à-tout, organisant notamment « réceptions à la présidence et dans les grandes ambassades », constate la domination des entreprises européennes, comme le suisse Nestlé, sur le marché alimentaire. « J’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire », affirme l’autodidacte, dans une rare interview téléphonique accordée à Monde – il « n’aime pas parler de (lui) ». « J’ai vu que ces grands groupes se développaient, occupaient le marché. Leurs produits étaient très consommés. »
En 1981, il lance d’abord une société de négoce alimentaire, Patisen (contraction de pâtisserie et Sénégal), se concentrant notamment sur les intrants de boulangerie. Puis se lance rapidement dans les produits pour petit déjeuner (pâte à tartiner, pâte d’arachide, poudre de café), en rachetant une usine désaffectée à un Français. « Elle a recommencé avec une vigueur renouveléeil dit. Je me suis dit qu’il suffisait de faire de la qualité et un produit adapté au marché, tant au niveau du goût que du prix, mais aussi de la visibilité. » Ce dernier point est sa première grande intuition : la publicité. Comme plus tard sur la route de Rufisque, les couleurs de ses marques se multiplient dans la ville.
Il vous reste 74.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.