Un mariage à 600 millions de dollars
Argent connu, argent perdu. C’est la devise favorite des plus riches du monde, les 0,00000035% de l’humanité dont la fortune dépasse le milliard de dollars. Si, pour ces hyper-privilégiés, le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien, Mukesh Ambani, l’homme le plus riche d’Inde (115 milliards d’euros) et d’Asie, affiche une philosophie différente. Pour le nabab de 67 ans, la richesse s’expose, elle s’exhibe, elle s’étale comme du Nutella sur une tranche de pain blanc. Les roupies sont faites pour être dépensées, en liasse entière et aux yeux du monde. Quand sa femme, Nita, fan de cricket et de bharata natyam, une danse traditionnelle, sort en ville, elle porte autour du cou des parures de diamants et de rubis valant le PIB d’un Etat balte. Et quand Mukesh Ambani marie ses enfants, lui qui règne sur Reliance Industries – un empire polymorphe présent dans le textile, le pétrole, le gaz, la pétrochimie, les télécommunications, les assurances et la banque -, il ne fait pas les choses à moitié.
En 2018, pour le mariage de sa fille, Isha, avec Anand Piramal, l’héritier d’un conglomérat de Mumbai (Bombay), Mukesh Ambani a déboursé 100 millions de dollars (92 millions d’euros) et s’est offert un show privé de Beyoncé. La fête était en partie organisée dans son gratte-ciel, Antilia, une tour de 27 étages construite en 2010 valorisée 1,5 milliard de dollars et classée « la résidence la plus chère du monde » par « Forbes ». Antilia s’étend sur 37 000 mètres carrés au sol et compte trois héliports, un garage pour 160 voitures, une salle de cinéma, une piscine olympique, un centre de fitness et de yoga, des jardins suspendus, un temple et même une salle où tombe de la neige artificielle. Environ 600 personnes s’occupent de son entretien.
Tout a commencé en mars avec un pré-mariage évalué à 140 millions d’euros
Du 12 au 14 juillet, pour le mariage de son fils cadet, Anant, 29 ans, beau bébé dodu, barbu, brushing mi-long, lointain sosie indien de Demis Roussos, avec Radhika Merchant, 29 ans également, Vénus aux yeux de biche et au nez nubien, issue d’une bonne famille de Bombay, Mukesh Ambani avait promis de faire encore mieux. Depuis plusieurs semaines, tout le sous-continent spéculait sur le faste et les ors du baraat, le cortège du marié, ou du saat phere, la cérémonie au cours de laquelle les futurs époux font sept tours autour du feu sacré… autant de pièces du puzzle qui composent le mariage hindou. Mais plus encore, c’est le pedigree des invités qui a enthousiasmé l’Inde. Car cette cérémonie de mariage couronnait plusieurs mois de beuveries et de festivités inouïes.
Tout a commencé en mars, à Jamnagar, dans l’État du Gujarat, avec trois jours de fête pour un pré-mariage estimé à 140 millions d’euros. C’est Rihanna, pour son premier concert depuis le Superbowl 2023, qui s’est produite devant 1 200 invités. Une prestation payée 6 millions d’euros. Parmi les hôtes, Bill Gates, Mark Zuckerberg, Sundar Pichai, le PDG de Google, Ivanka Trump, le roi et la reine du Bhoutan et tout Bollywood, dont la sculpturale Deepika Padukone. La prestation de la star américaine, en play-back et sans conviction, n’a pas été inoubliable, s’apparentant davantage à un karaoké géant qu’à un concert. Mais le show de la chanteuse de « Bitch Better Have My Money » et « Diamonds » a néanmoins enchanté les Ambanis. Tout ce qui comptait pour les Gatsby indiens était d’éblouir leurs invités.
200 éléphants, 300 félins…
Les décors dignes d’un blockbuster ont été conçus par le designer Manish Malhotra, le Saint Laurent du sous-continent. Les compositions florales sauvages ont été réalisées par le designer américain Jeff Leatham, considéré comme le Nijinsky des bouquets et dont les salaires sont astronomiques. Et c’est sans compter les tenues de la mariée, Radhika Merchant, qui allaient de robes Versace à des ensembles traditionnels indiens avec des diamants et de l’or. Les bijoux de mariage comprenaient des émeraudes rares et des ornements en diamants qui ont coûté des centaines de millions de plus.
Au cours de la fête, les invités ont pu déguster 500 plats différents créés par 100 chefs. Anant Ambani a profité de l’occasion pour faire visiter à ses invités son zoo privé de Vantara, près de la raffinerie familiale de Jamnagar. La famille a modifié la constitution indienne pour importer 200 éléphants, 300 félins (léopards, tigres et lions), des centaines de crocodiles, les hippopotames de Pablo Escobar et des oiseaux tropicaux rares dont 26 aras de Spix, une espèce de perroquet brésilien éteinte à l’état sauvage, dont il ne reste que 204 en captivité.
En guise de pré-mariage, une croisière de quatre jours en Méditerranée pour quelque 1 200 amis privilégiés
Voilà pour les zakouskis. En guise d’apéritif, fin mai, le couple et quelque 1 200 amis ont privatisé un navire doté de 32 restaurants, d’un casino et d’un théâtre pour une croisière de quatre jours en Méditerranée. Pour les divertir, un concert des Backstreet Boys et une soirée sur l’une des pistes de danse du navire, où tous les invités étaient vêtus de toges romaines avec David Guetta sur les ponts. Le navire a fait escale une soirée à Cannes, où les invités ont pu profiter d’un bal masqué et d’un double concert de Katy Perry et Pitbull. A Portofino, c’est Andrea Bocelli qui a célébré l’amour des jeunes milliardaires en interprétant « Can’t Help Falling in Love ».
Le 5 juillet, contre un cachet de 10 millions de dollars (9,2 millions d’euros), Justin Bieber s’est produit à Bombay devant un parterre de célébrités, lors d’un somptueux gala pré-mariage (encore) : le sangeet, une cérémonie au cours de laquelle les futurs mariés et leurs familles exécutent des danses sur scène pour symboliser leur union à venir. Trois jours plus tôt, Mukesh Ambani avait organisé un mariage de masse pour 52 couples défavorisés, distribuant des bijoux en or et en argent et 1 200 euros, afin de s’offrir quelques mérites pour sa vie future, selon les principes hindous.
Les Kardashian, Boris Johnson, Tony Blair, Priyanka Chopra et Nick Jonas, John Cena, Nicky Hilton et toutes les célébrités en Inde…
Puis est arrivé le jour J, plus précisément les jours J, les 12, 13 et 14 juillet. Selon la coutume hindoue, la date du mariage a été choisie en fonction de l’horoscope de naissance des tourtereaux. Alors que des pluies torrentielles s’abattaient sur Bombay, en pleine mousson, une pluie de stars est venue célébrer l’amour d’Anant et Radhika : les sœurs Kardashian, dont Kim, vêtues d’un lehenga rouge très décolleté ; les anciens Premiers ministres britanniques Boris Johnson et Tony Blair, la star internationale Priyanka Chopra et son mari, le chanteur Nick Jonas ; le PDG de Samsung et ex-détenu Lee Jae-yong ; et le président de la FIFA Gianni Infantino, venu avec sa femme et ses quatre filles.
Parmi les autres invités de marque figuraient le catcheur John Cena, Nicky Hilton, la petite sœur de Paris, et son mari James Rothschild, héritiers des empires du même nom. Les Ambanis avaient également convié toutes les célébrités de l’Inde : stars de variétés, joueurs de cricket, acteurs et actrices comme Shahrukh Khan, alias King Khan, roi incontesté de Bollywood, héros romantique, « coureur de jupons » et idole de tout un peuple. Etaient également présents le plus célèbre des « freaks » indiens, le catcheur géant (2,16 mètres) The Great Khali, et le Premier ministre de la plus grande démocratie du monde, Narendra Modi.
La fête, organisée dans un centre de congrès de 16 000 places et retransmise en direct sur plusieurs chaînes, a duré 72 heures.
Les festivités, organisées dans un centre de congrès de 16 000 places et diffusées en direct sur plusieurs chaînes, ont duré 72 heures : le shubh vivaah (mariage de bon augure) le vendredi, le shubh aashirwad (bénédiction de la plongée) et le mangal utsav (réception de mariage) le dimanche. La planification, supervisée par Nita Ambani, sa fille Isha et sa belle-fille Shloka Ambani, a pris plus d’un an. « Ma belle-mère était la directrice générale du mariage », a déclaré la mariée, Radhika. « C’est l’engagement et la vision de Nita qui ont donné vie à toute notre célébration. »
Un autre fleuriste star, Preston Bailey, s’est occupé des décorations (un mois d’installation) avec plus de 60 sculptures florales d’animaux, dont des singes, des éléphants et des tigres. On estime qu’il a fallu plus de 100 000 fleurs pour réaliser chacune d’entre elles. Trois invitations différentes ont été envoyées pour le mariage et les réceptions. Les invités de marque ont reçu une grande boîte rouge contenant un coffre en nacre, à l’intérieur se trouvait un mini temple en argent, des idoles en or et des divinités hindoues comme Ganesh, Durga, Radha et Krishna. Tous les « invités » étaient équipés d’un bracelet de couleur et d’un QR code envoyé six heures avant l’événement pour éviter que l’invitation ne soit revendue.
Le mariage le plus cher du siècle
Les deux premiers jours ont surtout été consacrés à défiler dans des tenues extravagantes. Nita Ambani, la matriarche, s’est distinguée en portant un collier de diamants jaunes dont la pièce maîtresse de 100 carats était constellée de solitaires. Les artisans du joaillier Kantilal Chhotalal, de Mumbai, ont consacré plus de 1 000 heures à la confection de cette rivière exceptionnelle. Dimanche, pour le mangal utsav, la réception proprement dite de ce « gros mariage indien », plus de 12 000 personnes étaient conviées. Pas de mégastars de la pop ou du hip-hop, hormis Luis Fonsi, qui a interprété son tube « Despacito », et le roi de l’afrobeat Rema. Mais une pléthore de chanteurs et danseurs indiens aux chorégraphies décoiffantes et à la très grosse musique punjabi ou bombay.
Dans un pays où 90% des ménages ont un revenu mensuel inférieur à 100 euros, le mariage Ambani est estimé par les médias indiens, toutes célébrations confondues, à 551 millions d’euros, ce qui en fait sans doute les noces les plus chères du siècle. Mais il ne représente que 0,5% de la fortune du nouveau maharajah de l’Inde moderne.