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Le sénateur Rémi Cardon propose un « manifeste de la gauche numérique » au Nouveau Front populaire

Qu’est-ce qu’une « gauche numérique » ? Alors que le Nouveau Front populaire, vainqueur des législatives, pourrait arriver au pouvoir s’il parvenait à former une coalition gouvernementale, les partis qui le composent (LFI, PS, EELV et PC) peinent à définir une doctrine alternative à la « startup nation » néolibérale d’Emmanuel Macron. Depuis 2022, aucun parlementaire de gauche ne s’est même distingué par une vision globale du sujet, laissant le champ libre à une poignée d’experts tout-terrain – et de droite – comme les députés Eric Bothorel (Renaissance) et Philippe Latombe (Modem), ou la sénatrice Catherine Morin-Desailly (Nouveau Centre), seuls à saisir les enjeux cruciaux du numérique – pour l’économie, la société, la démocratie, le travail, la souveraineté, l’industrie ou encore le climat – dans leur complexité et leur globalité.

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Un « récit de gauche » sur la révolution numérique

Cela pourrait changer, car ce constat est également partagé par Rémi Cardon, 28 ans et plus jeune sénateur de France depuis son élection dans la Somme, en 2020, à l’âge de 24 ans. La gauche a négligé le numérique « , dénonce l’élu, membre de la commission des affaires économiques et du groupe numérique du Sénat, et qui a travaillé à ce titre sur la loi visant à réguler et sécuriser l’espace numérique (SREN), la stratégie française de cybersécurité, ou encore l’influence du réseau social chinois TikTok.

«  Même si le programme du Nouveau Front populaire a été rédigé à la va-vite, quelques jours après la dissolution surprise d’Emmanuel Macron, il n’y avait quasiment rien sur le sujet. alors que le numérique est crucial pour la cohésion sociale, la lutte contre les inégalités, notre souveraineté, notre réindustrialisation et bien sûr la transition écologique »il explique à La galerie.

D’où l’idée d’un « manifeste », que le jeune sénateur a d’ailleurs rédigé à toute vitesse, seul, quelques jours après la victoire surprise du NFP. Avec un seul objectif : proposer un « nouvelle histoire « , de gauche à droite, autour du numérique, pour  » rompre avec la nation des startups  » Et  » inventer la French Tech populaire « , où l’innovation sert avant tout à lutter contre la fracture numérique et à soulager les maux de la société et de la planète.

Cette ligne directrice s’accompagne d’une méthode : l’élaboration d’un « Front républicain » sur les sujets numériques. « Le futur gouvernement du Nouveau Front Populaire sera minoritaire, il faudra donc avancer des propositions suffisamment consensuelles pour trouver des majorités sur des projets au Parlement. « , précise Rémi Cardon, qui, même s’il élude la question, se positionne de facto sur le futur portefeuille. Ce consensus se fera, estime-t-il, sur des sujets transpartisans comme la défense de la souveraineté numérique, le développement de la cybersécurité ou encore le durcissement de la régulation contre les big tech, qui peuvent trouver des appuis au sein de la Macronie et plus à droite.

« Il faut une doctrine numérique de gauche » (Rémi Cardon, sénateur PS)

« Pas un seul euro d’argent public pour les startups qui ne démontrent pas d’impact social ou écologique »

En détail, la première partie de ce document de six pages, qui La galerie a obtenu, entend unir la gauche en faisant une synthèse des propositions déjà incluses dans le programme Nupes en 2022, dans les différents travaux menés par les parlementaires de gauche sur divers sujets depuis deux ans, et dans le « contrat de législature » du Nouveau Front Populaire.

Ainsi, le sénateur socialiste expose rapidement les grands principes de cette « gauche numérique » autour de trois idées : créer un « La technologie française populaire « en développant l’accès au numérique et aux startups dans les territoires et auprès des populations éloignées de la « startup nation » macroniste ; » revaloriser l’humain « dans l’économie numérique – en opposition aux plateformes comme Uber qui précarisent le travail – et en mettant le numérique au service de » bifurcation écologique « .

La couverture totale des zones blanches, le développement de formations contre l’illettrisme numérique, un meilleur maillage territorial de Maison France Services, et la promotion de projets d’impact dans la French Tech, font partie des solutions avancées. Sur ce sujet, « Pas un seul euro supplémentaire de l’argent des contribuables ne devrait aller aux startups qui ne démontrent pas d’impact social ou écologique « , promet-il. Concrètement, cela signifie que  » L’argent de Bpifrance doit être déployé en priorité dans les fonds d’investissement dits « article 9 » « , c’est-à-dire avec un objectif d’investissement durable, précise-t-il.

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Parmi les autres pistes suggérées figurent la reclassification en salariés des travailleurs de plateformes comme Uber, qui va plus loin que la présomption d’emploi proposée par la Commission européenne, la promotion de la sobriété numérique, ou encore la création d’un indice de réparabilité des smartphones pour réduire l’énorme empreinte environnementale des terminaux tels que les smartphones et les ordinateurs, basé sur le modèle Nutriscore pour l’alimentation.

Souveraineté, cybersécurité et lois anti-Gafam pour trouver des majorités transpartisanes

La deuxième partie du texte, celle du consensus avec les autres forces politiques de la nouvelle Assemblée nationale, s’articule principalement autour de l’idée d’un rééquilibrage des forces entre la tech française et européenne d’un côté, et la big tech – désignée de manière un peu désuète par l’acronyme « Gafam » pour Google, Apple, Facebook devenu Meta, Amazon et Microsoft – de l’autre.

 » L’absence de régulation des géants du numérique a créé une situation oligopolistique dans laquelle une poignée d’entreprises orientent le rythme du marché et des politiques publiques. « , dénonce Rémi Cardon. Pour  » serrer l’étau « autour de ceux-ci » acteurs déloyaux  » OMS  » étouffer nos libertés fondamentales « , le sénateur socialiste propose de soutenir et de promouvoir les logiciels libres et open source pour renforcer la  » alternatives aux Gafam » même si cela signifie créer « infrastructures et services souverains et publics « Sur le cloud, l’élu souhaite » promouvoir l’investissement national dans les solutions de stockage et de gestion des données en Europe « .

Plus surprenant encore, le sénateur propose un nouveau « Taxation spécifique des services numériques des grandes plateformes « , sans préciser l’articulation avec la taxe française sur les services numériques, votée en 2019 et dont l’efficacité est contestée. Une vague » harmonisation des réglementations au niveau international » sur la fiscalité numérique, et « un soutien accru aux PME innovantes  » sont également évoquées, tout comme la nécessité de renforcer les lois existantes sur la modération des contenus et la désinformation sur les réseaux sociaux.

Enfin, le socialiste mise sur l’ampleur de la menace cybercriminelle pour obtenir un soutien massif de la Chambre à des propositions telles qu’un « investissement massif » dans le développement de l’écosystème cybernétique, la sensibilisation du public et des entreprises, et « formation et recrutement d’experts « , dans le cadre d’un  » Politique européenne commune en matière de cybersécurité « . «  La France devrait encourager l’innovation dans ce domaine en finançant des projets de recherche sur de nouvelles technologies de protection, des méthodes de détection d’intrusion et des solutions de réponse aux incidents.  » il ajoute.

Omissions et approximations

Comment le Premier ministre d’un hypothétique gouvernement dirigé par le Nouveau Front populaire accueillera-t-il ce manifeste ? Si la démarche n’est pas dénuée d’intérêt, la proposition de Rémi Cardon devra nécessairement être complétée et peaufinée pour être crédible.

L’omission la plus frappante est l’absence de toute mention de l’intelligence artificielle dans ces six pages, justifiée par l’intéressé au nom de  » priorités » à mettre en œuvre. Pourtant, l’arrivée à maturité de l’IA générative depuis fin 2022 – capable de produire elle-même des textes, des photos et des vidéos de plus en plus complexes en quelques secondes à partir d’instructions simples – constitue la plus grande révolution technologique depuis la création d’Internet. L’IA rebat les cartes de l’économie en promettant des gains de productivité d’une ampleur inédite, qui pourraient bouleverser profondément de nombreux métiers et avoir un fort impact sur l’emploi, relançant ainsi le débat autour du revenu universel ou de la taxation du travail automatisé. Sans compter les nombreux enjeux éthiques qui entourent l’utilisation de cette technologie, et l’impact de l’IA sur la démocratie – désinformation, espionnage, stratégies d’influence – et la géopolitique mondiale. Bref, l’IA est une bombe économique et sociale en puissance, mais le sujet peine encore à être compris politiquement en France.

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Il y a aussi des propositions que Rémi Cardon présente comme nouvelles, mais qui ne le sont pas. L’indice de réparabilité des smartphones, par exemple, est déjà en vigueur en France depuis 2021. La France avait même imaginé un indice de durabilité, encore plus restrictif pour les constructeurs, qui a été rejeté par Bruxelles en 2023 au motif qu’il aurait dupliqué son propre « repair score », un indice européen de réparabilité qui entrera en vigueur en juin 2025, mais qui est perçu par les constructeurs éthiques comme moins ambitieux que l’indice français de 2021.

Sur certains autres sujets, les grands principes pourraient vite se heurter à la réalité. Sur la fracture numérique, la couverture des zones blanches fait déjà l’objet d’une stratégie nationale et d’un bras de fer depuis des années entre les opérateurs et l’Etat, tant les investissements nécessaires sont coûteux pour tout le monde.

Sur le financement de Bpifrance qui serait dédié à des projets à impact social et environnemental, le texte ne précise pas l’avenir des stratégies sectorielles – IA, deeptech, quantique… – qui s’inscrivent dans les enjeux de souveraineté numérique, mais dont l’impact social et environnemental serait difficile à appréhender, si l’on parvenait à trouver un référentiel commun et pertinent pour le mesurer. Le texte ne précise pas non plus ce qu’il adviendra de la politique d’investissement de Bpifrance dans les fonds de fonds, dont la grande majorité n’entre pas dans le cadre de l’article 9.

L’impression donnée est donc celle d’une continuité de la politique économique sur les questions numériques, avec dès que possible une dimension sociale et environnementale, synonyme d’investissements supplémentaires.