Tactique risquée, suspicion de faim… mais à quoi jouait Pogacar ?
Battu au sprint par Jonas Vingegaard après avoir tenté de disperser ses rivaux loin de l’arrivée, Tadej Pogacar a peut-être perdu plus que la 11e étape du Tour de France ce mercredi. Pour nos consultants, et malgré le discours résolument optimiste de l’équipe UAE Emirates, le Slovène a commis de nombreuses erreurs sur un terrain pourtant fait pour lui.
« Je pensais qu’il voulait gagner l’étape et lâcher les autres. Finalement, il n’y est parvenu ni l’un ni l’autre. C’est raté à nouveau. » Le constat est implacable, et teinté d’une pointe d’insolence vu le rire malicieux qui l’accompagne, mais qui oserait contredire Thomas, jeune touriste anglais en vacances en Auvergne venu « voir si le Slovène dont tout le monde parle est aussi fort qu’on le dit » ? A l’arrivée de la 11e étape du Tour ce mercredi au Lioran, spectateurs et observateurs ont eu l’impression d’avoir assisté à un petit basculement dans la quête du maillot jaune, du moins d’un point de vue psychologique. Car malgré sa fuite dans les derniers mètres du Pas de Peyrol, et malgré d’innombrables risques pris dans la descente, Tadej Pogacar n’a pas réussi à se défaire de Jonas Vingegaard. Un pansement danois qui a peiné un moment, au point d’être à une demi-minute, mais qui a réussi à revenir encore plus fort pour s’imposer au sprint après un ultime effort, synonyme pour lui de son premier succès sur ce Tour.
Une opération quasi nulle sur le plan mathématique puisque le double vainqueur n’a repris qu’une seconde à « Pogi » au jeu des bonifications. Mais psychologiquement, l’histoire est toute autre. Accompagné de doutes au moment de prendre le départ de cette 111e édition en Italie, selon le discours qu’il tente de répéter avec les caciques de Visma-Lease a bike depuis sa lourde chute subie sur le Tour du Pays Basque, Vingegaard s’était fixé comme objectif de monter en puissance avant d’atteindre son pic de forme en troisième semaine. Résultat, il n’est désormais plus qu’à 1’14 » d’un Pogacar qui n’est peut-être pas si impérial que ça. « Vingegaard est le grand gagnant aujourd’hui. On a vu aujourd’hui ce qu’on a vu ces deux dernières années : une stratégie qui n’a aucun fondement de la part de Pogacar et de son équipe UAE Emirates. Ils ont vraiment fait n’importe quoi. Quand on répète sans cesse les mêmes erreurs, on est en droit de se demander s’il a des gens autour de lui qui ont le sens de la course », assène notre consultant Cyrille Guimard, pour qui Pogacar a probablement surestimé ses atouts en voulant dégoûter la concurrence à 31 kilomètres de l’arrivée.
« Son réservoir était vide »
« Il a commis une énorme erreur, poursuit Jérôme Coppel. Je pense qu’il a voulu tuer le Tour et envoyer Vingegaard dans les cordes en lui prenant beaucoup de temps. Mais c’était trop loin ! Il avait encore des équipiers à ses côtés. Il aurait pu tenter d’attaquer plus tard avec Adam Yates et João Almeida. C’était beaucoup trop tôt. Il n’avait aucune chance de faire la différence dans la descente. Je pense même qu’il a terminé affamé. Quand on voit son sprint, on voit qu’il n’a plus rien dans son sac et qu’il a pioché dans ses réserves. Il s’est vu un peu trop beau pour être vrai. » Il faudra attendre le départ des Pyrénées ce week-end pour confirmer ou infirmer l’hypothèse de ce Pogacar loin d’être irrésistible. Battu sur un terrain qui lui convient mieux que son rival numéro 1, et terriblement brouillon dans le final, il a semblé quelque peu émoussé dans le Massif Central. Faute d’alimentation électrique ? « Jonas était très fort, on peut même dire qu’il est dans la forme de sa vie », a-t-il simplement répondu aux journalistes, préférant esquiver la question.
Pas de quoi convaincre notre consultant Jérôme Coppel : « Ce n’était pas une grosse faim, sinon il aurait mangé pendant 10 minutes, mais oui je pense qu’il avait un problème avec son alimentation. On l’a vu près du vélo de fraîcheur, en train de mettre la main à la poche, et même en train de manger sur le podium. Il a perdu 29 secondes en 4km dans le col du Perthus, alors qu’il ne s’est pas relevé… Il était vraiment blanc à l’arrivée. Son réservoir était vide. Regardez son sprint : il pédalait dans la semoule, c’est ce qui arrive quand on n’a plus de force. Il aurait dû manger tout de suite après son attaque, prendre des glucides. Mais ce n’est pas toujours facile d’y penser dans le feu de l’action. » Le discours était tout autre dans les rangs des UAE : pas de pépin physique ni d’excès de confiance, mais un Vingegaard tout simplement au-dessus du lot.
Pas de soucis aux EAU
« Jonas était meilleur aujourd’hui, félicitations au vainqueur. On voulait boucler l’étape, puis aller chercher les bonifications. Mais Jonas a parfaitement réduit l’écart de 30 secondes. Jonas était meilleur que Tadej dans le final mais il n’a pris qu’une seconde. Tadej était-il fatigué ? Je ne lui ai pas parlé, je ne sais pas. Il avait de bonnes sensations, mais clairement un autre coureur avait de bonnes sensations aujourd’hui. La bataille continue », a résumé Joxean Matxin, l’un des directeurs sportifs d’UAE Emirates. « Depuis le premier jour en Italie, Jonas a montré un super niveau. Il avait aussi un super niveau au Galibier, ce n’est pas une surprise. C’est le vainqueur des deux derniers Tours de France. Mais Tadej est détendu, il est toujours leader », a ajouté l’Espagnol avec un grand sourire. Même sérénité du côté du Français Pavel Sivakov : « On garde le maillot, c’est quand même une bonne journée. L’attaque était prévue, on a mis le plan à exécution. Jonas avait les jambes pour revenir, il était très fort. On a pu voir aujourd’hui que ce sera une grosse bataille pour le maillot jaune jusqu’à Nice. Ce n’est pas une surprise. »
Un bras de fer qui ne fait que commencer, certes, mais Pogacar a-t-il quand même pris un coup au moral ? « Bien sûr, il sera déçu », a convenu le Belge Tim Wellens. « Ce n’est pas un secret. Il n’a pas l’habitude de ne pas gagner. Mais il se sent bien et il analysera ce qu’il peut faire encore mieux. » La tactique du jour « était juste d’attaquer », a également souligné le Portugais João Almeida, sixième de l’étape. « L’équipe a été parfaite et a fait un super boulot, on va réessayer. J’ai confiance en Tadej. Est-ce qu’on pourrait attaquer dans les Pyrénées ? Oui. Partout, n’importe quand. » Probablement ni jeudi ni vendredi sur un terrain cher aux sprinteurs, mais plutôt samedi lors de la 14e étape entre Pau et Saint-Lary-Soulan. Un classique des Pyrénées avec trois ascensions de haute voltige au programme : le mythique Col du Tourmalet (19km à 7,4%), la Hourquette d’Ancizan (8,2km à 5,1%) et la montée au Plat d’Adet (10,6km à 7,9%) où sera jugée l’arrivée. Cette fois, il ne faudra pas oublier son gel ni son bidon.