Du combat face à l’Autriche à l’échec des leaders, le tournoi en demi-teinte de l’équipe de France
Vice-champions du monde et meilleure nation européenne au classement Fifa… C’est dans la peau des favoris qu’ils ont posé leurs valises dans leur coin de verdure de Bad Lippspringe, à côté de la ville de Paderborn. Pas forcément nommée, l’obligation de tirer les leçons de l’élimination embarrassante contre la Suisse en huitièmes de finale de la précédente édition est évidemment présente. Il est en revanche trop tôt pour mesurer le véritable niveau de la sélection française. Après une préparation sans grande adversité, avec un succès logique 3-0 contre le Luxembourg et un soporifique 0-0 contre le Canada, des zones d’ombre restent à éclaircir.
Didier Deschamps a la chance de pouvoir compter sur un groupe quasiment complet. Un seul absent de taille : Lucas Hernandez, qui s’est déchiré les ligaments croisés début mai. Le retour de N’Golo Kanté malgré son exil en Arabie Saoudite et l’arrivée de Bradley Barcola apportent une touche de curiosité à cette liste de 25 taillés pour aller loin. Mais on se demande toujours dans quel système le sélectionneur demandera à ses hommes de jouer leur partition, avec un gros point d’interrogation sur le nom de la ou des personnes qui accompagneront le capitaine Kylian Mbappé en attaque.
Toutes ces considérations tactiques n’enflamment pas les débats sur le sol national. L’attention est en tout cas accaparée par les Jeux olympiques de Paris, organisés moins de deux semaines après la finale du tournoi. Alors, quand Emmanuel Macron annonce la dissolution de l’Assemblée nationale à la suite des élections européennes du 9 juin, le football n’est absolument pas la priorité. La retransmission, le soir même, du match amical contre le Canada est perturbée, TF1 décidant de le diffuser avec 15 minutes de retard.
Lorsque les Bleus débarquent en Allemagne trois jours plus tard, il est forcément difficile de faire abstraction du contexte politique. Le sujet ne met pas tous les joueurs de l’équipe de France à l’aise. Ousmane Dembélé est le premier à admettre que «la sonnette d’alarme« je venais juste d’être »tiré« . Ensuite, Marcus Thuram pousse l’engagement un peu plus loin à deux jours de l’entrée en lice des Bleus dans la compétition en appelant clairement à « set se battre pour que le RN ne passe pas » lors des législatives. Même son de cloche le lendemain, dans la bouche de Kylian Mbappé, dont chaque mot fait immanquablement le tour du monde.
Malgré cette préparation clairement parasitaire, les Bleus sont prêts à entrer dans l’arène. Contre l’Autriche, ils sortent vainqueurs d’un combat sanglant aux airs de football à l’ancienne (1-0). Kylian Mbappé, qui avait provoqué l’ouverture du score en poussant Maximilian Wöber à marquer contre son camp, est contraint de quitter la pelouse à cinq minutes de la fin du match avec le nez cassé et le visage en sang. Par chance, l’attaquant vedette des Bleus échappe à l’opération et n’est pas out pour le reste du tournoi. Il ne lui reste cependant que quatre jours pour se remettre du choc et prendre part au deuxième match, face aux Pays-Bas.
Didier Deschamps a gardé le flou jusqu’au dernier moment. « Tout va dans le bon sens pour qu’il soit disponible »Le sélectionneur avance même à la veille du choc. Mais après un défilé de masques – il est obligé de jouer avec – aux différents entraînements, Kylian Mbappé ne met pas les pieds sur la pelouse de la Red Bull Arena. Il regarde depuis le banc ses coéquipiers dominer un adversaire plus frileux que d’habitude, sans parvenir à mettre le ballon au fond des filets (0-0). Deux énormes occasions impliquant Antoine Griezmann laissent un goût d’inachevé.
Avec aucun but inscrit par un joueur français en 180 minutes, « DD » avoue un problème d’efficacité. A l’inverse, le secteur défensif impressionne et plus particulièrement la charnière Dayot Upamecano-William Saliba. Le premier a conservé la confiance du coach malgré sa saison mitigée avec le Bayern Munich et le second est propulsé titulaire alors qu’il n’avait jamais montré en équipe de France le niveau auquel il évolue à Arsenal. Cette association inédite et circonstancielle ne doit son existence qu’au fait que le titulaire habituel Ibrahima Konaté n’est pas « pas à 100% ».
Deschamps remet ça pour le dernier match de poule face à une Pologne déjà éliminée. La physionomie est idéale pour que ses Bleus ajustent enfin la mire devant le but. Qualifiée avant de jouer, l’équipe de France a l’occasion de terminer première de son groupe et d’éviter la partie la plus difficile du tableau, réunissant l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal, les trois adversaires les plus en vue jusqu’ici. Malgré l’effectif professionnel et le retour de Mbappé, buteur sur penalty, on attend toujours un but propre, sans aucun bémol, marqué en cours de jeu.
N’ayant pas réussi à enfoncer le clou, ils étaient à la merci du retour des Polonais bien décidés à quitter le tournoi la tête haute. Robert Lewandowski a d’ailleurs égalisé sur penalty, mais en deux temps, l’arbitre lui permettant de retenter sa chance après que Mike Maignan ait été sauvé après une sortie de sa ligne sur la première tentative. Score final 1-1. Les Bleus ont dû se contenter de la deuxième place et ont appris le lendemain qu’ils affronteraient la Belgique en huitièmes de finale, un adversaire forcément en quête de revanche après la demi-finale très mal digérée du Mondial 2018, mais aussi celle de la Ligue des Nations 2021.
Cette fois, le staff a six jours pour préparer le match. Les critiques sur le jeu lui-même se multiplient, tout comme celles sur la rotation des joueurs. Après trois matchs, seuls 13 d’entre eux ont été titularisés et sept des 25 sélectionnés n’ont même pas joué une seule minute. « TTout le monde est content d’être ici mais il ne faut pas oublier que nous sommes des footballeurs et des compétiteurs »concède Ibrahima Konaté en conférence de presse, qui se dit néanmoins prêt à mettre ses sentiments de côté.
Méthode Coué ou pas, la délivrance vient d’un joueur sorti du banc – le seul ce soir-là – Randal Kolo Muani. L’attaquant moqué depuis son arrivée au PSG provoque l’unique but du match (1-0), à l’actif du défenseur belge Jan Vertonghen, à cinq minutes de la fin du temps réglementaire. Didier Deschamps et son staff jubilent, comme s’ils évacuaient toute la tension accumulée.
En France, l’intérêt pour la compétition n’est pas au plus haut. Seulement 11 millions de personnes regardent ce huitième de finale face à la Belgique à la télévision. Trois ans plus tôt, Médiamétrie (dont les mesures ont depuis évolué) en comptait 16,3 millions pour l’élimination face à la Suisse. D’un côté, une grande partie de l’opinion publique n’hésite pas à railler cette équipe incapable de marquer. De l’autre, l’ennui général généré par cet Euro 2024 ne contribue pas à accroître la ferveur populaire.
Si le match était alléchant sur le papier, permettant aux Bleus de prendre leur revanche huit ans après la finale de l’Euro 2016, le quart de finale face au Portugal a suivi la même courbe. 120 minutes de tension et de suspense n’ont pas suffi à faire passer la pilule d’un nouveau 0-0. Peu importe l’explosion de joie lors de la séance de tirs aux buts – remportée pour la première fois depuis 1998 – et la révélation de héros inattendus (Dembélé, Fofana, Koundé, Barcola et Hernandez), quelque chose clochait dans cette équipe qui, de plus, se présentait à chaque match avec un nouveau visage.
En première ligne des critiques, Kylian Mbappé et Antoine Griezmann ne sont que l’ombre d’eux-mêmes. Quand le capitaine, « fatigue »Remplacé 15 minutes avant la séance de tirs au but – exercice dans lequel il est le plus expérimenté -, le second est le premier élément que Didier Deschamps écarte de son onze pour tenter de trouver la solution. Les deux leaders des Bleus sont tout simplement très loin de leur meilleure condition physique. L’évidence est telle que personne dans le groupe France ne le nie.
A propos de « Grizou », Adrien Rabiot avoue son « surprendre » face aux performances décevantes de celui qui a brillé avec l’Atlético de Madrid durant la saison : « On attend, de l’extérieur et de nous en tant que coéquipiers, beaucoup plus d’Antoine car il est capable de plus »Le lendemain, pour la demi-finale contre l’Espagne, équipe la plus régulière du tournoi, Didier Deschamps alignait un onze de départ sans celui qui fut son titulaire lors du Mondial 2022 au Qatar. Plus qu’un désaveu, le déclassement est brutal pour Antoine Griezmann, sachant que l’équipe de France n’a pas joué un match sans lui entre août 2017 et mars 2024 (84 matches).
Kylian Mbappé est présent et… démasqué. Si sa passe décisive pour Randal Kolo Muani, auteur d’un but de la tête après sept minutes de jeu, laisse entrevoir une libération, le match bascule dans la mauvaise direction pour l’équipe de France. Lamine Yamal, 16 ans, vole la vedette en inscrivant un but mythique pour égaliser.
Derrière, la Roja a inscrit son deuxième but après une nouvelle inspiration géniale, cette fois de Dani Olmo. 2-1, le score n’évoluera plus. Concentrés pour ne pas s’effondrer, les Blues ont eu du mal à provoquer le danger. Comme un symbole, Kylian Mbappé a gâché une énorme occasion, dans sa situation favorite – lancé à pleine vitesse et sur son pied droit – en fin de match. « Mon concours est difficile, raté »la personne concernée reconnaît juste après la rencontre.
L’élimination met surtout en lumière les limites collectives de cette équipe dont on dit souvent qu’elle sacrifie le beau jeu pour se concentrer sur le résultat. A Munich, l’Espagne de Luis de la Fuente a montré qu’il était possible de bien jouer et de gagner. Il y a 40 ans, les vainqueurs de l’Euro 1984 l’avaient également démontré. Sous contrat jusqu’en 2026 avec l’équipe de France, Didier Deschamps a deux ans pour trouver la bonne formule en vue du Mondial en Amérique du Nord. Il devra se passer d’Olivier Giroud, qui a disputé ses dernières minutes avec les Bleus dans l’anonymat le plus total.