Boeing plaide coupable pour les crashs du 737 MAX qui ont fait 346 morts pour éviter un procès
Boeing a signé un accord de plaidoyer avec le ministère américain de la Justice, les procureurs ayant conclu que le géant américain de l’aérospatiale avait violé un accord antérieur concernant les accidents impliquant des Boeing 737 MAX de Lion Air et d’Ethiopian Airlines en Indonésie et en Éthiopie en 2018 et 2019, qui ont tué un total de 346 personnes.
Les documents judiciaires montrent que l’avionneur a admis avoir participé à une « conspiration visant à frauder les États-Unis » lors de la certification du 737 MAX. « L’offre faite à Boeing par les tribunaux consiste à plaider coupable à une accusation criminelle en cours (déposée en 2021) pour complot visant à frauder la FAA », a déclaré la semaine dernière le régulateur américain de l’aviation, Paul Cassell, professeur de droit à l’Université de l’Utah et avocat des familles dans l’affaire pénale.
Les familles des victimes des deux accidents d’avion se sont déclarées « très déçues » et, selon une requête déposée par leurs avocats, demanderont au tribunal d’annuler l’accord lors d’une prochaine audience. « De nombreuses preuves ont été présentées au cours des cinq dernières années montrant que la culture de Boeing, qui privilégie le profit à la sécurité, n’a pas changé. Cet accord ne fait que renforcer cet objectif d’entreprise biaisé », a déclaré l’un des avocats, Robert A. Clifford, dans un communiqué.
Une « complaisance honteuse »
La mère d’une victime française, Catherine Berthet, a dénoncé en réponse une « complaisance honteuse » entre la justice et le constructeur américain. « En offrant cet accord plus que complaisant sur un plateau (…) à Boeing, le DOJ fait preuve de faiblesse et d’un mépris manifeste pour les familles des victimes et l’intérêt public », a estimé la mère qui a perdu sa fille Camille dans le crash d’un Boeing 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines le 10 mars 2019 près d’Addis-Abeba, dans une déclaration transmise à l’AFP par ses avocats.
« La justice américaine, qui devrait servir d’exemple au monde, fait en réalité preuve d’une complaisance honteuse envers ceux qui privilégient la rentabilité à court terme et l’image au détriment de la sécurité de (leurs) passagers », déplore-t-elle. Les familles ont déposé une requête pour contester l’annonce et demandé une audience auprès du juge fédéral du Texas (sud) Reed O’Connor, en charge de ce dossier. Elles réclament depuis le début un procès.
« Cet accord est une folie en matière de sécurité aérienne. Il démontre le mépris et la surdité du DOJ face aux auditions de lanceurs d’alerte (…), aux rapports d’experts et à la multiplication plus qu’inquiétante des incidents », estime Catherine Berthet. Selon elle, le ministère a proposé « le même accord bon marché et injuste » proposé en janvier 2021, note-t-elle.
Avions cloués au sol pendant 20 mois
En 2021, le géant de l’aéronautique a reconnu avoir commis une fraude dans la certification du 737 MAX 8, impliqué dans les deux crashs mortels. Tous les 737 MAX ont été cloués au sol pendant vingt mois aux États-Unis et dans le monde entier après les crashs. L’accord prévoyait que Boeing paierait une amende de 2,5 milliards de dollars en échange d’une immunité contre les poursuites pénales. Il était soumis à une période probatoire de trois ans expirant cette année.
Mais Boeing a de nouveau plongé dans la crise en janvier lorsqu’un 737 MAX d’Alaska Airlines a dû effectuer un atterrissage d’urgence après qu’un panneau du fuselage s’est détaché en plein vol. Les audits et enquêtes lancés après l’incident du 5 janvier ont identifié des problèmes de non-conformité et des lacunes en matière de contrôle qualité au sein de l’entreprise.
En vertu de l’accord avec le ministère de la Justice, Boeing sera condamné à une amende et à investir au moins 455 millions de dollars dans des « programmes de conformité et de sécurité », tandis que les indemnisations des familles seront déterminées par le tribunal. Selon des informations divulguées ces derniers jours, l’accord devrait également inclure la nomination d’un superviseur indépendant pour trois ans.
Pour John Coffee, professeur à l’université de Columbia, un règlement à l’amiable présente l’avantage pour les deux parties « d’éviter une défaite humiliante et d’être rapide ». Mais dans ce cas, « le grand public en sort souvent le plus mal », a-t-il noté dans un blog la semaine dernière.
Outre les difficultés liées à un procès pénal, une condamnation aurait également pu priver l’avionneur de lucratifs contrats gouvernementaux et militaires, qui généraient un tiers de son chiffre d’affaires en 2023.