La BCE inquiète pour la France
Pour de nombreux gouverneurs de banques centrales européennes, les réunions de la Banque centrale européenne (BCE) ressemblent de plus en plus à Un jour sans fin. Comme le héros du film, contraint de revivre encore et encore les mêmes vingt-quatre heures, les membres du conseil de la BCE enchaînent séisme sur séisme depuis près de quinze ans. Réunis à Sintra, au Portugal, du 1er au 3 juillet pour leur séminaire annuel, certains des participants – dont la présidente, Christine Lagarde, ancienne ministre des Finances et ex-directrice générale du Fonds monétaire international – ont dû ressentir un sentiment de déjà-vu : lors de la première édition de cette réunion, en 2014, le parti Syriza était sur le point de remporter les élections en Grèce, faisant craindre le maillon faible de la zone euro.
Dix ans plus tard, la crise de la dette souveraine a été résolue et la Grèce peut se targuer d’un excédent budgétaire. Mais c’est désormais au tour de la deuxième économie de la zone euro de plonger dans la tourmente. Avec des enjeux bien plus importants pour l’Union
L’Union européenne (UE) ainsi que la zone euro.
A la veille du second tour des élections législatives, la France était au centre de toutes les préoccupations des grands financiers. L’inquiétude était clairement perceptible tout au long des réunions et des panels tenus à Sintra. « Nous sommes très attentifs », cette phrase entendue très souvent durant ces trois jours, traduit, dans le langage prudent d’un banquier central, une réelle inquiétude. « , estime Frederik Ducrozet, responsable de la recherche économique de la banque Pictet. D’autant qu’une éventuelle élection de Donald Trump en novembre pèserait également sur la croissance européenne.
Procédure disciplinaire
Aucun scénario ne peut apaiser les craintes, pas même celui d’un gouvernement technique qui s’occuperait des affaires courantes, une hypothèse évoquée ces derniers jours. Avec une dette de 110% du PIB (la troisième plus élevée de l’UE) et un déficit budgétaire attendu à 5,1% du PIB cette année, la France fait déjà l’objet d’une procédure disciplinaire de la part de Bruxelles et n’a aucune marge de manœuvre pour faire face aux mesures coûteuses proposées par le Rassemblement national ou le Nouveau Front populaire. La question qui est sur toutes les lèvres est de savoir si la BCE interviendra en cas de panique sur les marchés. « , souligne François Écalle, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques et fondateur du site de référence Fipeco.
L’institution dispose des moyens juridiques et techniques pour sauver la dette de la France avec deux types d’instruments, le TPI et l’OMT. Le premier (instrument de protection des transmissions), mis en place en 2022 afin de » éviter le risque de fragmentation budgétaire « , permet à la BCE d’acheter des titres financiers aux pays éprouvant des difficultés à se financer sur les marchés. Le deuxième (opération monétaire directe), lancé en 2012, permet des achats illimités d’actifs financiers.
Or, l’utilisation de ces deux armes nécessite le respect de règles budgétaires européennes, auxquelles la France contrevient de fait. La BCE pourrait intervenir, mais seulement pour combattre la contagion provoquée par la situation française. L’Italie et l’Espagne pourraient en effet devenir des victimes collatérales du désordre créé par Paris. « , juge un ancien membre du ministère de l’Economie. Il n’y a pas que Bercy qui tremble.