le SMIC à 1 600 €, un électrochoc et des effets en cascade
Le Nouveau Front populaire (NFP) le promet : en cas de victoire, il augmentera le salaire minimum de 1 398 € net à 1 600 €. Il ne s’agit plus d’un « coup de pouce » mais d’un énorme coup de pouce, réclamé depuis longtemps par la gauche de la gauche et certains syndicats comme la CGT. Même si en réalité la hausse ne dépasserait pas 14,4% mais plutôt 12%, une fois déduite l’ajustement à la hausse des prix susceptible, de toute façon, d’intervenir cet été.
Cette augmentation serait tout à fait inédite (la gauche, en 1981, ne l’avait augmentée que de 10 %) et d’autant plus spectaculaire qu’elle se ferait d’un seul coup. De quoi soulager des salariés payés au Smic, souvent à temps partiel, et confrontés à de telles difficultés de pouvoir d’achat qu’ils sont parfois qualifiés de travailleurs pauvres. Cela suffit cependant à inquiéter les employeurs, notamment parmi les PME les plus fragiles, qui pourraient être contraints de licencier ou du moins de renoncer à embaucher.
Bruno Le Maire prédit le « retour du chômage de masse »
Serait-ce nécessairement le « Retour au chômage de masse »comme le prédisait le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire ? « La seule augmentation du coût du travail pourrait entraîner la destruction de 322 000 emplois »calcule Éric Heyer, directeur de l’Office français de conjoncture économique (OFCE).
Mais selon le chercheur, ce chiffre est à soustraire du nombre de créations d’emplois (142 000 postes) qui seraient apportées par une augmentation des revenus, et donc de la consommation, chez les bénéficiaires de la mesure (même s’ils pourraient être tentés d’y parvenir). acheter des produits et services plus ou moins étrangers).
Il faut aussi déduire les créations (151 000 emplois) résultant des allègements ou exonérations de cotisations sociales qui s’appliqueraient demain à des emplois qui, aujourd’hui, n’en bénéficient pas ou peu. En effet, ceux qui sont actuellement rémunérés plus de 1,6 fois le Smic ne sont pas concernés par ces mesures d’aides. Mais une augmentation du Smic à 1 600 € net les ramènera automatiquement dans le champ des allègements.
29 000 suppressions d’emplois selon l’OFCE
« Au final, on arrive à une baisse de 29.000 postes, calcule Éric Heyer. Les destructions l’emportent sur les créations d’emplois, mais nous sommes loin, en termes de chômage, de la catastrophe annoncée par les opposants à cette mesure. » Ce qui pourrait néanmoins coûter, selon l’Institut Montaigne, quelque 3,5 milliards d’euros de dépenses publiques par an, en raison de pertes de cotisations.
Un salaire minimum de 1 600 euros fragiliserait le système de protection sociale, prévient Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT. « Le déficit, dû à une expansion des allègements de charges, rendrait nécessairement plus complexe le financement de la sécurité sociale et menacerait l’équilibre des fonds de pension. »
Pour ce responsable syndical, l’enjeu majeur n’est pas d’accorder au salaire minimum une augmentation spectaculaire mais de « maintenir une dynamique salariale au fur et à mesure de votre progression de carrière ». Le salaire minimum, rappelle-t-il, a été conçu comme un niveau de salaire minimum pour les postes non qualifiés. « Les employés sont censés voir leur rémunération augmenter à mesure qu’ils acquièrent et déploient des compétences. » souligne-t-il.
Une « smicardisation » croissante
Or, avec la proposition défendue par le Nouveau Front Populaire, une partie des salariés actuellement payés un peu au-dessus du SMIC se retrouveraient automatiquement payés au SMIC… « Pour eux, ce serait comme retourner au bas de l’échelle, comme repartir de zéro. » prévient Luc Mathieu.
Et la mesure corollaire que prône le NFP, l’indexation de tous les salaires sur les prix, n’y changerait pas grand-chose. « Cela reviendrait à tuer toutes les négociations autour de la répartition des gains de productivité, avec, à terme, des effets potentiellement défavorables pour les salariés. »
Accentuation de la « smicardisation »
En grimpant à 1 600 €, le Smic concernerait de toute façon « 21 à 22 % des salariés, contre 17 % aujourd’hui »., note Éric Heyer. De quoi accentuer la « smicardisation » de toute une partie du salarié. De quoi démotiver ceux qui se retrouveraient du jour au lendemain au même niveau de salaire que les nouveaux arrivants, sans qualification ni expérience. « Cela risquerait de renforcer un sentiment de déclassement déjà très fort »estime Luc Mathieu. Un sentiment, pour ne pas dire du ressentiment, qui, on le sait, sert aussi de carburant au vote RN.
D’autres questions se posent dans ce débat. Celui d’un éventuel remplacement des salariés par des machines, des robots. « Mais avec ou sans augmentation du SMIC, ce mouvement est déjà à l’œuvre, en France et ailleurs, note Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’Université Paris 8. C’est le cas lorsque l’on introduit des robots conversationnels à la place des opérateurs de centres d’appels. »
La question de la compétitivité des entreprises
Les inquiétudes portent également sur la compétitivité des entreprises françaises. « Mais les secteurs exportateurs, notamment dans l’industrie, comptent très peu de salariés payés au SMIC ou légèrement au-dessus, contrairement à d’autres secteurs comme le nettoyage ou la restauration, difficilement délocalisables », souligne Clément Carbonnier.
Un argument qui convainc à moitié Éric Heyer, patron de l’OFCE. « Les salaires dans l’industrie ne représentent que 30 % des coûts de production. Qui incluent également les services (ménage, restauration, etc. – achetés auprès de prestataires de services). Autrement dit, si eux, contraints d’augmenter leurs bas salaires, augmentent leurs prix, le surcoût pèsera aussi, indirectement, sur des secteurs a priori peu touchés par la hausse du Smic.