Crise politique ou crise médiatique ?
Porte qui claque chez LR, avec dans le rôle du mari infidèle un Éric Ciotti plus comédien que jamais, et le sketch des gendarmes qui viennent le déloger. Manigances rancunières de Jean-Luc Mélenchon, hésitations chez les socialistes, états d’âme dans le camp macroniste, et tant de coups bas, de trahisons, de renoncements, de retours et de résurrections de vieux… Depuis deux semaines, nous suivons, pas à pas. , tous les rebondissements de ce qui ressemble de plus en plus à un merveilleux scénario de série Netflix ou, plus franchouillard, Baron Noir.
Toutes ces étapes ne sont pas inattendues dans une campagne politique. Mais les canons médiatiques de 2024, grâce à ce que l’on appelle, en termes journalistiques, le « live », c’est-à-dire une retransmission en temps réel des événements sur tous les sites, sont des politiques trop scénarisées. Cette manière de privilégier les résultats directs conduit à décomposer la réalité, que personne ne veut voir, en une multitude d’incidents anecdotiques. L’actualité est donc lue minute par minute, pour mieux nous tenir en haleine. A force de tout rapporter, de tout dire, de tout suivre, on perd de vue l’essentiel. Il est donc impossible de considérer le processus qui s’annonce dans son ensemble…
Il faudra un jour faire le point sur ce que la crise démocratique actuelle doit aux nouvelles règles d’un système médiatique qui transforme le journalisme en histoire immédiate, privilégiant le choc et le spectaculaire, pour attirer les audiences. Parce qu’il n’y a pas que ces « vies » incessantes. On pourrait aussi analyser les prises de pouvoir sur les réseaux sociaux : on a beaucoup dit que le leader du Rassemblement national Jordan Bardella avait fait une partie de son succès grâce à son audience sur TikTok. En face, paniqués, les influenceurs ont lancé la contre-offensive pour mettre en avant des personnalités de gauche sur ces mêmes réseaux. Mais pour quel débat ? Chacun est dans son silo, ce qui ne convainc que les convaincus.
Diviser pour captiver
On a vu, lors de la campagne de Donald Trump, comment ce genre de pratiques pouvait opposer des communautés virtuelles qui, par la magie des réseaux, ne se rencontrent jamais vraiment. On pourrait aussi citer une économie de l’information dont les yeux sont rivés sur ses audiences numériques, et qui a tout intérêt à privilégier ce qui fait polémique, ou « duel » pour utiliser un formulaire qui était utilisé lors des européennes.
Les journalistes ont ainsi convenu, comme événement majeur de cette campagne européenne, de mettre face à face la tête du Rassemblement national et le Premier ministre, oubliant que ces élections européennes étaient basées sur la représentation proportionnelle avec pluralité de listes et tête de liste. N’est-ce pas contraire aux règles du débat démocratique et, plus simplement, aux éléments de déontologie journalistique que nous sommes censés apprendre dans nos écoles ?
Le pari risqué du Président de la République a fait entrer le pays dans une forme d’excitation irrationnelle. Le système médiatique avec son accélération vertigineuse l’amplifie dangereusement. Le fait que de riches investisseurs soient désormais prêts à perdre de l’argent en achetant des médias devrait nous alerter encore plus. Sous nos yeux consternés, la politique, cette chose précieuse qui devrait normalement permettre d’élaborer un projet collectif à long terme, s’effondre et se décompose. De quoi ouvrir la voie à ces nouvelles formes de régime que l’on appelle démocraties.