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80e anniversaire : 6 juin 1944, déclenchement de l’insurrection en France

Fabrice Grenard

Historien, directeur scientifique de la Fondation Résistance

L’importance des opérations militaires menées par les Alliés en juin 1944 en Normandie tend à éclipser les événements qui se déroulent dans le reste de la France métropolitaine à la même époque. Mais pour la Résistance, le débarquement allié du 6 juin 1944 constitue un tournant décisif. Un climat insurrectionnel se déclenche sur tout le territoire, sous forme de petits soulèvements de masse qui évoquent les souvenirs de la « patrie en danger » de 1792, de la mobilisation des troupes franc-tireurs de 1871 et de l’Union. sacré de 1914.

Depuis le début de l’année 1944, la Résistance française se prépare à intervenir lorsque les Alliés débarqueront en France. Les différents groupes militaires de « l’armée de l’ombre » ont été unifiés au sein des Forces françaises de l’intérieur (FFI) en février-mars. Les Francs-tireurs et partisans (FTP), la branche armée du Parti communiste, ont également rejoint les FFI, tout en conservant une certaine autonomie et une organisation spécifique sur le terrain.

À partir de 1euh Juin 1944, Radio Londres intensifie les messages d’avertissement. Le 5 juin, elle en publie plus de 200, dont le contenu est sans équivoque pour les résistants initiés : « Les dés sont sur la table », « Il fait chaud à Suez »… Tout indique que le « Jour J » (« Jour J » «  ») « ) devient plus clair. C’est le 6 juin 1944 qu’eut lieu l’événement tant attendu, alors que le débarquement était espéré depuis 1943.

Cela déclenche l’émoi dans tous les maquis. «Enthousiasme général chez nos hommes qui retournent à leur poste», écrit dans ses carnets de bord Max Juvénal, le chef régional de l’Armée secrète (qui regroupe depuis fin 1942 les forces militaires du Sud, de Combat, de Libération et de France). -Mouvements de zones). Tireur) dans les Bouches-du-Rhône 1. « Un camion arrive qui nous raconte le débarquement des Anglo-Saxons à l’estuaire de la Seine.

Il y a des cris de joie et tout le monde chante. Pour l’occasion, on nous offre trois bouteilles de vin vieux. Le soir, de nombreuses détonations sourdes et lointaines nous alertent sur l’explosion d’œuvres d’art », note dans son journal un résistant auvergnat, Louis Riberolle. Il fut tué peu de temps après lors d’une attaque allemande.2.

Des manifestations patriotiques éclatent spontanément. Au pied du Vercors, à Die, des résistants ont organisé un défilé dans l’après-midi du 6 juin. À Saint-Chély-d’Apcher, en Lozère, une soixantaine de guérilleros ont célébré le débarquement en s’emparant de la ville : ils ont défilé devant des habitants et hissé le drapeau tricolore sur la mairie.

Avec l’annonce du débarquement, l’heure est à la mobilisation générale et les appels à l’insurrection se multiplient. Les instructions du haut commandement des FTP de la zone Sud transmises sous forme de note écrite aux élus locaux le 6 juin demandent que « partout où le rapport de force le permet – c’est le cas aujourd’hui dans les immenses provinces de Savoie », les Alpes, le Massif Central, le Limousin, tout doit être fait pour la libération de ces territoires afin d’en faire des bases de résistance et d’attaque.

La « libération nationale » ne peut être « séparée de l’insurrection nationale »

Cet appel n’est pas le seul lancé par les FTP, contrairement à une idée développée après la guerre jugeant leurs entreprises trop précoces, comme nous le verrons. De Gaulle lui-même déclarait le 18 avril 1942 sur la BBC que la « libération nationale » ne pouvait être « séparée de l’insurrection nationale ».

Et le 6 juin 1944, dans un message diffusé en fin d’après-midi, il préconise d’agir pour que les Français ne restent pas spectateurs de leur libération : « La bataille suprême a commencé ! Bien sûr, c’est la bataille de France et c’est la bataille de France ! (…) Pour les fils de France, où qu’ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens dont ils disposent. » Chef des FFI, le général Kœnig lance le même jour, également depuis Londres, un appel à l’offensive contre les troupes allemandes.

Ces appels simultanés provoquent un afflux de volontaires sans précédent dans les principaux maquis. Dans le Vercors, le nombre de maquisards est passé en quelques jours de 400 à 4 000. En Auvergne, des centaines de jeunes ont rejoint les maquis de la Margeride et du Mont Mouchet. Afflux également en zone nord, où à la veille du débarquement il n’existait que quelques petits centres isolés en Bretagne ou en Normandie.

Fin juin, un grand maquis mobilisateur s’est formé dans la région de Guingamp, à Coat-Mallouen. Au cœur du Morbihan, 2 500 bénévoles ont rejoint la ferme de La Nouette, près de Saint-Marcel. D’importants regroupements ont également lieu dans le Centre, notamment en Sologne (maquis de Souesmes) et dans la forêt d’Orléans (maquis de Lorris)3.

Conformément aux plans de sabotage décidés à Londres – les plans vert (destruction des voies ferrées), rouge (explosion des dépôts de munitions), bleu (sabotage des lignes électriques), violet (sabotage des lignes téléphoniques) – la Résistance se mobilise pour paralyser l’armée allemande. communications et transports. Au total, près d’un millier de trains ont été coupés dans les jours qui ont suivi le 6 juin. À cela s’ajoutent les nombreux bombardements de lignes ferroviaires par des avions alliés dans le cadre de l’opération « Plan Transport » : le trafic a chuté de plus de 50 % dans la semaine qui a suivi. l’atterrissage.

Les tentatives se multiplient pour libérer certains territoires. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le 7 juin, Barcelonnette a été la première sous-préfecture libérée – temporairement. Dans le Vercors, le 9 juin, les maquis ont « verrouillé » le plateau afin d’en contrôler les accès. Le 8 juin, les maquis de l’Ain envahissent Nantua et Oyonnax. Au Centre, les forces de l’Armée Secrète attaquent la garnison allemande de Guéret (Creuse). Le maquis FTP de Corrèze a fait de même à Tulle les 7 et 8 juin.

Partout en France

Pour maintenir les lignes de transport nécessaires au déplacement de ses troupes, le haut commandement allemand veut à tout prix empêcher la libération de régions entières. D’où la violence de la réaction allemande. La redoutable division SS « Das Reich » est transférée en France depuis le front de l’Est pour reprendre le contrôle du Limousin. Tout au long de son parcours, il mène une répression sanglante. A Tulle, 99 habitants pendus, 149 autres déportés 4. Le 9 juin au soir, « Das Reich » reçoit l’ordre de rejoindre la Normandie. Avant de quitter le Limousin, elle porte à son paroxysme sa stratégie de terreur.

Le 10 juin, à Oradour-sur-Glane, elle assassine 643 habitants, dont des femmes et des enfants. Il s’agit du plus grand massacre de civils en France par les armées allemandes. Des opérations ont également été menées en juin dans le Cantal contre le maquis du Mont Mouchet. Au Centre, les Allemands anéantissent en quelques jours les maquis formés début juin, comme celui de Souesmes en Sologne.

Dans la Nièvre, la contre-offensive contre les maquis du Morvan se solde par des massacres dans plusieurs villages comme Montsauche (25 juin) et surtout Dun-les-Places (26-28 juin). Dans le Morbihan, le maquis de Saint-Marcel a été attaqué le 18 juin.

À la mi-juillet, alors que la nécessité d’un repli se fait sentir en cas de débarquement allié dans le sud de la France, les Allemands mobilisent d’importants moyens pour conserver le contrôle de la vallée du Rhône. Une opération d’envergure débute le 10 juillet contre le maquis de l’Ain, intitulée « Treffenfeld », suivie le 21 juillet de l’opération « Bettina » contre le Vercors. La bataille dure jusqu’au soir du 23 juillet. 200 résistants tombent les armes à la main, 150 sont sommairement exécutés. La commune de Vassieux perd 72 de ses habitants.

Après la guerre, notamment dans le contexte de la Guerre froide, les actions de juin 1944 font l’objet de polémiques : elles auraient été à la fois trop précoces et inconsidérées face aux moyens militaires bien supérieurs des Allemands. Par exemple, les ouvrages sur les événements de Tulle publiés à cette époque – comme celui du père Espinasse, aumônier du lycée de la ville, en 1948, ou celui du colonel Rémy, en 1962 – rendent les FTP responsables, du fait de leur attentat des 7 et 8 juin, les pendaisons d’habitants par « Das Reich ».

Certains voulaient aussi y voir une stratégie communiste visant à promouvoir un climat insurrectionnel dans tout le pays pour prendre le pouvoir, alors que le PCF était néanmoins attaché à « l’union nationale », comme Staline le lui demandait depuis 1943.

C’est oublier aussi que le général de Gaulle lui-même a appelé à l’insurrection le 6 juin, comme on l’a vu. Et si l’attaque de Tulle a bien été menée par les seuls FTP, l’Armée secrète a pris des initiatives similaires dans d’autres départements, comme dans la Creuse, à Guéret.

Excitation patriotique

Il ne faut surtout pas sortir les soulèvements de juin 1944 de leur contexte. L’effervescence patriotique, les nombreuses soulèvements de maquis et les attaques perpétrées contre les garnisons allemandes illustrent la volonté de la jeunesse française de s’engager dans les combats décisifs de la Libération, avec la volonté de laver l’humiliation de la défaite de 1940 et de quatre années d’Occupation. .

Ils s’appuient aussi en grande partie sur le pronostic d’une « Blitzkrieg inversée » qui conduirait en quelques semaines à la libération totale de la France avec un effondrement de la Wehrmacht face aux troupes alliées. « On pensait que dans huit jours la France serait libérée et que, le lendemain, nous serions aux portes de Lyon pour fêter le 14 juillet à Paris », témoigne un jeune résistant, illustrant le sentiment dominant dans les jours qui ont suivi le débarquement. 5Jean Pierre Brétéguier, cité par Gilles Vergnon, « Résistance en Vercors », Glénat, 2012.. Un pronostic démenti par le cours des événements, avec des opérations en Normandie plus longues et plus difficiles que prévu et une situation qui n’est définitivement résolue pour les Alliés qu’au moment où fin juillet 1944 avec la percée d’Avranches.

En août 1944, le débarquement en Provence, accompagné d’un ordre de retrait donné par Hitler aux unités allemandes stationnées dans le sud de la France, entraîne de nouveaux mouvements insurrectionnels dans toutes les régions du Sud-Est et du Sud-Ouest. Après les moments difficiles de la répression allemande en juin et juillet, les résistants connaissent leur « revanche » en août et septembre en remportant d’importantes victoires qui permettent de libérer des régions entières (Limousin au Sud-Ouest, Haute-Savoie à l’Ouest). Est), bien avant l’arrivée des Alliés.

« Tulle, enquête sur un massacre. 9 juin 1944 », Tallandier, coll. « Texte », 2024 ; « Jean Moulin, le héros oublié », Plon, 2023 ; « Ils ont pris le maquis », Tallandier et ministère des Armées, 2022. Sa récente lettre trimestrielle (n° 116) a pour sujet « Le rôle de la Résistance dans la libération de la France » ; contact : www.fondationresistance.org


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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.

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