Mauvaise période pour les producteurs de lait. Après Lactalis et l’annonce d’une réduction de 9% de sa collecte d’ici 2030, c’est au tour de Savencia (Caprice des Dieux, le Rustique, Elle & Vire etc.) de faire pression sur ses éleveurs laitiers, ceux de Sunlait, l’association d’organisations de producteurs (AOP) qui lui fournit environ 15 % de son lait en France (3,5 milliards de litres). Dans un communiqué daté de lundi 28 octobre, le deuxième groupe fromager français et cinquième mondial, a annoncé « qu’après un préavis de 32 mois, les contrats de collecte expirent le 31 octobre 2024, sans qu’un accord n’ait été trouvé entre les deux parties.
Cependant, environ 800 exploitations membres de Sunlait attendaient la signature d’un accord-cadre. En vain. Mais Savencia, qui est l’un des principaux acteurs mondiaux du secteur laitier (5,1 milliards de litres de lait transformés en 2023), affirme vouloir «maintenir la collection après le 1euh novembre aux producteurs laitiers qui le souhaitent (…) et s’appuiera sur le cadre proposé par la médiation des relations commerciales agricoles. »
C’est un « solution transitoire » sur la base des contrats d’application (par obtenteur) de l’accord-cadre précédent. Des volumes, d’accord, mais à des conditions de prix industrielles. « La solution durable passera par la négociation collective au travers des OP (organisations de producteurs), des AOP ou des coopératives » , précise le communiqué.
« Que ces pratiques d’un autre âge cessent »
Les éleveurs membres de Sunlait, qui seront collectés (sauf s’ils marquent leur refus), sont encouragés à rester dans leur OP qui continue d’espérer un accord. Mais plus l’attente se prolonge, plus elle risque de fragiliser Sunlait et Ouest’Lait, la principale organisation des producteurs de Sunlait (350 des 500 millions de litres de lait en 2023). « Dans notre dernière offre, nous avons accepté toutes leurs conditions. Il restait trois jours pour se mettre d’accord sur les détails. Mais Savencia n’avait aucune envie de signer cet accord-cadre avec nous. Ils veulent juste se débarrasser de Sunlait qui a osé, un jour, leur dire non sur le prix du lait ! » s’insurge Landry Rivière, président de Ouest’Lait.
La multinationale n’aurait pas pardonné d’avoir été assignée en justice, en septembre 2021, par Sunlait, pour non-respect des contrats laitiers. Il s’agit d’une première retentissante dans le monde de la transformation laitière. « Les PO sont contournés. Ils n’ont plus aucun intérêt. Les producteurs laitiers font ce qu’ils veulent avec l’accord des pouvoirs publics. dénonce, désillusionné, Nicolas Bernatas, président de Sunlait.
Approchés individuellement, une trentaine de membres de « Sunlait » ont rejoint d’autres PO pour pouvoir signer un contrat avec Savencia. D’autres ont préféré partir. Environ 60 millions de litres de lait, produits par une centaine d’exploitations du Sud-Ouest, sont allés chez Yéo Frais, à Toulouse (Haute-Garonne), dans l’une des usines du groupe coopératif des Maîtres Laitiers du Cotentin (MLC). Mais les éleveurs de Ouest’Lait, basés en Ille-et-Vilaine, Manche, Calvados, Orne et Mayenne, n’ont d’autre choix que Savencia.
« Le ministre de l’Agriculture doit s’attaquer de toute urgence à notre problème »» a insisté Landry Rivière. Dans un communiqué du 25 octobre, l’eurodéputé socialiste Eric Sargiacomo a alerté la Commission européenne et demandé un régime de sanctions. « Aujourd’hui, la base juridique (article 153 de l’Organisation Commune de Marché) pour dénoncer ces actions (contacter directement les producteurs) existe mais un régime de sanctions spécifique fait défaut. La Commission européenne a annoncé à juste titre la révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales pour début 2025 (…) Ces multinationales se comportent comme si les producteurs leur appartenaient, ces pratiques d’un autre âge doivent cesser. »