50 nuances de « A »
Souvenir d’école et matinée théâtrale : « La voix A est formée en ouvrant bruyamment la bouche, A », déclare doctement le Maître de Philosophie à Monsieur Jourdain dans Le monsieur bourgeois par Molière. » A, A, oui », s’enthousiasme ce dernier…
Faut-il s’arrêter là ? Qu’il parle ou qu’il chante, le profane prend vite conscience des multiples manières » ouvrir la bouche bruyamment » et les différents « A » qui en ressortent. Alors imaginez quand il s’agit des professionnels de la voix et des mots, leur plasticité et leur sens ! Ce fut le cas dimanche 9 juin à l’abbaye Saint-Michel de Thiérache (Aisne). Invitée du festival avec l’ensemble Les Épopées sous la direction de Stéphane Fuget, la soprano Claire Lefilliâtre a interprété un programme très émouvant intitulé Lacrime des femmes (Larmes de femmes). Une anthologie de pages baroques italiennes autour de la douleur de la Vierge et de Marie-Madeleine. Droite et lumineuse, la chanteuse rompue à ce répertoire évoquait la tristesse profondément humaine de la mère et de l’amie, enveloppée dans l’aura de spiritualité qui entoure ces pièces toutes vouées à l’expression des affects.
Franc, troublé ou amer…
En italien et en latin, les paroles sont pleines de voyelles et notamment de « A ». Ils revêtent des couleurs, des textures et des atmosphères d’une incroyable diversité, dont l’artiste, tel un enlumineur, révèle la palette illimitée de nuances. « A » fort, ouvert et franc dans ExulterA filia Sion, LaudA Filia Jérusalem de Claudio Monteverdi ; « A » plus brumeux, d’une vague inquiétante, des termes PiAnto et LAcrasse dans La Maddalena ricorre lagrime de Domenico Mazzochi ; « A » qui se désagrège avec tristesse sur le mot AmAre où la voyelle semble soudain malade, pleine de fiel, dans le même morceau de Mazzochi…
Rhétorique des voyelles
Dès qu’on y prête attention, cette rhétorique devient un sujet d’émerveillement, inscrit dans l’admiration globale éprouvée lors du concert, alors qu’on suit le chemin d’un fil d’or aux reflets changeants intégré dans une vaste tapisserie. La gratitude envers l’artiste culmine dans le Stabat Mater de Giovanni Felice Sances. Le compositeur exécute une admirable vocalisation sur le « A » de ComplAceam, à laquelle répondront deux guirlandes, sur le « O » de AmÔrem alors sur le « je » de Paradjesi. Mais le « A » aura le dernier mot : AHommes.