40 ans après la catastrophe de Bhopal, l’usine de l’horreur fait toujours des victimes
Gaz Devi est né à Bhopal, il y a quarante ans, peu après minuit, suite à une fuite de gaz mortel d’une usine de pesticides de cette ville du centre de l’Inde. Depuis, son « la vie est un enfer ».
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, ses petits cris sont étouffés par les cris des habitants qui tentent désespérément d’échapper aux vapeurs d’isocyanate de méthyle.
L’une des pires catastrophes industrielles au monde a fait environ 3 500 morts au cours des trois premiers jours. Quelque 25 000 personnes sont mortes dans les années qui ont suivi.
Quatre décennies plus tard, ce désastre empoisonne toujours la vie de Mme Devi et de ceux qui sont nés avec des malformations.
Mme Devi, une journalière, souffre de douleurs constantes. Un de ses poumons n’est pas complètement développé et elle est constamment malade.
« Ma vie est un enfer »» déplore cette petite et frêle quadragénaire, s’essuyant le visage dans un bidonville de Bhopal, la capitale de l’État du Madhya Pradesh (centre de l’Inde).
« Mes parents m’ont appelé Gaz. Je pense que ce nom est une malédiction. J’aurais aimé mourir cette nuit-là »raconte-t-elle à l’AFP, les larmes aux yeux.
Des milliers d’habitants, vivant pour la plupart dans un immense bidonville situé entre la ville et l’usine, étaient piégés dans leur sommeil par les vapeurs du gaz mortel s’échappant de l’usine du groupe américain Union Carbide.
« Les malheureux sont ceux qui ont survécu ».
Nathuram Soni, 81 ans, a été l’un des premiers à être témoin de scènes apocalyptiques.
« Les gens étaient écumés à la bouche. Certains avaient déféqué, d’autres s’étouffaient avec leur propre vomi. »dit M. Soni en jetant un coup d’œil vers l’usine désormais abandonnée.
Avec un mouchoir sur le nez pour se protéger, il a transporté en charrette ses voisins en pleurs, dont beaucoup étaient de jeunes enfants, jusqu’à l’hôpital.
Rashida Bee, cofondatrice de l’ONG Chingari Trust, qui prodigue des soins gratuits aux descendants des familles touchées par la catastrophe, estime que ceux qui sont morts ont eu de la chance.
« Au moins, leurs souffrances sont terminées »elle soupire. « Les malheureux sont ceux qui ont survécu ».
Cette année, plus de 150 enfants souffrant de paralysie cérébrale, de problèmes d’audition, de problèmes d’élocution et d’autres handicaps ont été admis dans son établissement.
Elle attribue ces pathologies à la fuite de gaz et à la contamination de la nappe phréatique provoquée par le déversement de déchets toxiques.
Les analyses des eaux souterraines à proximité du site ont révélé la présence de substances chimiques – cancérigènes et responsables de malformations congénitales – 50 fois supérieures aux seuils tolérés par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA).
« Cette tragédie ne montre aucun signe de relâche »note Rashida, 68 ans, dont plusieurs membres de la famille sont morts d’un cancer depuis la catastrophe.
« Le sol et l’eau sont contaminéc’est pourquoi les enfants naissent encore avec des malformations ».
28% de mortalité en plus
Selon des ONG, Union Carbide, rachetée en 2001 par le conglomérat américain Dow Chemical, déversait des déchets chimiques dans l’environnement des années avant la catastrophe.
Interrogé par l’AFP, Dow Chemical n’a pas fait de commentaire.
Tasleem Bano, 48 ans, est convaincue du lien entre l’usine et les maladies congénitales.
Son fils Mohammed Salman est né avec des malformations, « son frère jumeau est mort dans mon ventre »explique-t-elle.
« Mohammed a survécu, mais il ne pouvait pas dire un mot jusqu’à l’âge de 6 ans »explique-t-elle en montrant l’appareil orthopédique qui permet à son fils de se tenir debout.
« Les médecins disent qu’il est dans cet état à cause des gaz »» raconte Tasleem, qui vivait près de l’usine la nuit du drame.
Lorsqu’on lui demande son nom, le garçon de 12 ans répond avec un simple sourire.
Comme lui, des centaines d’enfants du centre Chingari ont des difficultés à parler, à marcher ou à manger.
À la clinique Sambhavna Trust, les survivants font régulièrement la queue pour se faire soigner.
« Les données montrent très clairement que la population exposée a un taux de mortalité beaucoup plus élevé au sein de la population exposée que dans le reste de la population »déclare Satinath Sarangi, fondateur de Sambhavna.
« En 2011 (…) nous avons constaté qu’il y avait 28% de mortalité en plus parmi les personnes exposées au gaz ».
Des entreprises responsables
M. Sarangi, 70 ans, affirme que les vapeurs de ce gaz mortel ont affecté le système immunitaire des populations touchées et entraîné des aberrations chromosomiques.
« Les enfants de parents exposés aux gaz ont beaucoup plus de malformations congénitales ».
Union Carbide a accepté en 1989 de verser 470 millions de dollars (444 millions d’euros) aux victimes. Mais ces derniers n’ont pas été consultés et n’ont empoché chacun que 500 dollars.
Le propriétaire actuel, Dow Chemical, a refusé de verser une indemnisation supplémentaire.
Le principal accusé, l’ancien président d’Union Carbide Warren Anderson, est décédé en 2014 aux Etats-Unis sans avoir été condamné.
Rachna Dhingra, militante du Bhopal Group for Information and Action, estime que les survivants n’ont pas obtenu justice.
« Les habitants de la ville martyre continuent de se battre (…) pour demander des comptes à ces entreprises à travers la planète »affirme le militant, regrettant que « Bhopal a appris aux entreprises comment s’en sortir. »
GrP1