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3 raisons pour lesquelles Berlin envisage de réduire son soutien à Kiev

Le gouvernement allemand a-t-il changé de ton ? Samedi dernier, une source parlementaire a déclaré à l’AFP que le Bundestag n’envisageait pas de « aucune aide supplémentaire » aux 4 milliards d’euros prévus dans son projet de budget pour l’année prochaine pour fournir une assistance militaire à Kiev.

Alors qu’elle a alloué 8 milliards d’euros d’aide militaire directe pour 2024, la coalition au pouvoir entend réduire de moitié son soutien à l’Ukraine lors du scrutin qui se tiendra en novembre. Et Berlin ne prévoit qu’un plafond de trois milliards d’euros pour 2026, et plus d’un demi-milliard annuel pour 2027 et 2028, selon le journal. Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung (FAS).

Cette réduction du deuxième plus grand contributeur à l’aide internationale à l’Ukraine a déjà des conséquences. « Aucune nouvelle commande n’est passée pour l’Ukraine car elle n’est plus financée »a déclaré à l’hebdomadaire Andreas Schwarz, membre de la commission du budget et spécialiste des questions de défense. La sécurité de l’Europe dépend de la capacité et de la volonté politique de l’Allemagne à continuer de jouer un rôle de premier plan dans le soutien à l’Ukraine. « , a réagi immédiatement samedi l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, Oleksii Makeiev.

La guerre arrive en Russie

Kyiv, variable d’ajustement budgétaire

En fait, des raisons internes au Bundestag ont pris le pas. L’exécutif cite notamment une décision prise à la suite d’âpres discussions au sein de la coalition tripartite entre libéraux, verts et sociaux-démocrates pour la constitution du projet de budget 2025.

Le ministre libéral des Finances, Christian Lindner, a demandé à ses homologues de faire des économies afin de répondre aux « frein à l’endettement » (une règle constitutionnelle qui limite les nouveaux emprunts publics à 0,35 % du produit intérieur brut). En conséquence, les décideurs politiques ont dû trouver des variables d’ajustement.

 » Le gouvernement cherche à restructurer son armée, ce qui va peser sur le budget de la défense allemande. L’aide à l’Ukraine entre donc en contradiction avec ce projet dans le contexte des sommes allouées à la défense. « , explique à La Tribune Carole Grimaud, chercheuse en sciences de l’information, spécialiste de la géopolitique russe.

Un dilemme budgétaire que le gouvernement semble avoir résolu… aidé notamment par les négociations de l’opposition politique.

L’AFD et le BSW en colère

 » L’opinion publique allemande est toujours favorable au soutien à l’Ukraine, mais l’opposition est devenue plus organisée et plus vocale, ce qui suscite davantage de discussions dans le pays. « , analyse Ulrike Francke, experte des questions de sécurité et de défense au Conseil européen des relations étrangères (Ceri).

Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AFD) et le nouveau parti populiste de gauche radicale allemande, Sahra Wagenknecht (BSW), ont tous deux régulièrement appelé cette année leurs pays à négocier avec Moscou pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Une contestation de la position du gouvernement allemand qui prend de l’ampleur à l’approche des trois élections régionales (Saxe, Thuringe et Brandebourg) qui se tiendront en septembre dans l’est du pays.

 » Selon un sondage publié fin mai, 53% des Allemands sont toujours favorables à un soutien militaire à l’Ukraine, soit 10% de moins qu’il y a deux ans. Et surtout, en Allemagne de l’Est, la majorité y est opposée.souligne Jacques-Pierre Gougeon, directeur de l’Observatoire de l’Allemagne à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

« Cette baisse du soutien à l’Ukraine est donc une manière pour la chancelière de regagner des voix lors de ces élections où les partis au pouvoir sont prédits comme perdants.  » ajoute-t-il.

Berlin compte sur les atouts russes

Officiellement, les politiques n’ont cependant pas changé de ton : « L’Allemagne reste pleinement engagée (…). Le soutien à l’Ukraine se poursuivra aussi longtemps que nécessaire et personne, et surtout pas le président russe, n’a de raison de s’attendre à ce que nous relâchions (l’effort, ndlr) »a assuré Wolfgang Büchner, porte-parole du gouvernement, lors d’une conférence de presse lundi.

L’Allemagne justifie la réduction de cette aide notamment par « la création, dans le cadre du G7 et de l’Union européenne, d’un instrument financier utilisant les avoirs russes gelés »a indiqué à l’AFP une source au sein du ministère des Finances, ajoutant : « L’aide bilatérale allemande reste au plus haut niveau, mais repose sur l’efficacité de cet instrument. »

Guerre en Ukraine : l’UE verse à Kiev 1,5 milliard d’euros provenant des avoirs russes gelés

Les alliés de l’Ukraine travaillent depuis plusieurs mois sur un mécanisme qui permettrait d’utiliser une partie des 300 milliards de dollars d’actifs russes gelés dans le monde pour soutenir Kiev dans sa guerre contre l’armée russe. Berlin quitte donc l’Ukraine « sur le principe que ces fonds seront utilisables dès 2025 »a ajouté la source parlementaire à l’AFP.

 » Cette manne compenserait certes la baisse de l’aide allemande. Mais les pays ne se sont toujours pas mis d’accord sur les modalités de fonctionnement de ce mécanisme. Il existe donc un risque que ces avoirs restent gelés encore quelque temps. « , prévient Carole Grimaud. Dans un tel cas, les avis sur la réaction du Bundestag divergent.

 » Si les fonds ne sont pas débloqués, je pense que l’Allemagne augmentera son soutien lors du vote du budget en novembre. « , veut croire Ulrike Francke.

La menace du retour de Trump au pouvoir

Mais le scénario inverse est également possible… surtout si Donald Trump arrive au pouvoir aux États-Unis après les élections du 5 novembre.

Présidentielle américaine : Donald Trump a perdu la boussole

Le candidat républicain a en effet déclaré à plusieurs reprises qu’il serait en mesure de mettre fin très rapidement au conflit en Ukraine dès son retour au pouvoir. Il se garde toutefois de donner des détails sur les moyens d’y parvenir, ce qui laisse craindre un arrêt total de l’aide financière américaine. Or, selon l’Institut de Kiel, organisme allemand qui suit l’aide, l’aide américaine s’est élevée sur les deux dernières années à 75 milliards d’euros, loin devant les 14,69 milliards d’euros de l’Allemagne ou les 12 milliards de la France.

 » Si l’aide américaine venait à être coupée, les pays européens pourraient décider qu’ils n’ont plus le pouvoir d’aider l’Ukraine et chercheraient alors à organiser des négociations entre la Russie et l’Ukraine. « , anticipe le chercheur en sciences de l’information.