2 600 soldats nord-coréens engagés sur le front ? Décrypter une alliance controversée
Le 12 janvier, dernier jour d’un rapport du côté russe sur le front occidental de Bakhmout, nous sommes arrivés à pied. Dans les faubourgs de Soledar, constitués de petits pavillons détruits par les mortiers, un spectacle de désolation nous attend. Le soleil est au zénith. Ses rayons inondent les squelettes des bâtiments tachés de traces d’incendie. Avec la neige comme linceul, ces fantômes de briques rouges rappellent Stalingrad. Pendant ce temps, les explosions continuent de retentir. La plupart d’entre eux sont des départs du côté russe. Mais il faut être prudent. Lorsque les artilleurs, tous vétérans de Wagner, envoient leurs machines à travers la campagne, la vue, à la tombée de la nuit, de lignes incandescentes dans le ciel les oblige à abandonner leurs canons pour se mettre à l’abri. Ces tirs de contre-batterie se terminent généralement assez loin.
Les Russes et les Ukrainiens jouent à un jeu de « celui qui tire le premier indique sa position ». Sauf qu’en ce mois de janvier, le jeu est devenu singulièrement déséquilibré… La raison ? Le chef artilleur me dit que tous les obus tirés ce soir sont de fabrication nord-coréenne. « Il ne nous reste que ça »il admet. Les voici donc, ces fameuses munitions que Vladimir Poutine a négociées avec Kim Jong-un lors de sa visite à Moscou en septembre 2023. Le monde entier s’est souvenu que les deux hommes s’étaient donné un fusil. Mais il y avait d’autres « cadeaux ». Et les obus atteignirent le front. Ils sont là, devant nous. De couleur noire tandis que les coquilles russes sont vert foncé.
« C’est 152 mm» dit le chef mitrailleur. Ils sont aussi bons que les nôtres. Seul inconvénient : un obus nord-coréen ne peut pas fonctionner avec une charge russe et vice versa. » 152 mm est précisément le calibre qui manque cruellement aux Ukrainiens. Les Russes résoudront leur problème de pénurie en commençant à en produire massivement. Entre-temps, le cadeau du dictateur nord-coréen sert à assurer une supériorité écrasante dans les relations avec le feu.
On apprend désormais que la coopération entre le camarade Kim et Vladimir Poutine ne se serait pas limitée aux munitions. Le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, assure qu’un premier groupe de 2 600 soldats a été déployé sur le front de Koursk, en Russie, et qu’ils seront 11 000 d’ici le 1er novembre. L’information est confirmée par les Sud-Coréens, mais aussitôt démenti par Moscou. En mai dernier, on parlait déjà de la présence d’un char nord-coréen lors de l’offensive russe au nord de Kharkov.
A noter qu’il est facile, dans l’image, de faire passer des soldats russes d’origine asiatique pour des Nord-Coréens.
On se souvient aussi que le 18 juin, Kim Jong-un et Vladimir Poutine signaient un pacte de défense mutuelle à Pyongyang. Toujours selon les Ukrainiens, Kim Jong-un aurait livré des missiles balistiques KN-23. Mais des troupes sur le terrain, sinon pour aider les Russes à guider et entretenir les missiles ? Cela semble douteux. D’abord parce que l’intégration dans le système de soldats parlant une langue étrangère et utilisant des modes opératoires différents prend du temps. En termes d’image, cette présence montrerait que la Russie manque d’hommes, ce qui n’est pas le cas contrairement aux Ukrainiens. Eux, en revanche, conformément au « plan de victoire » présenté par leur président, ont intérêt à internationaliser le conflit. Et quelle meilleure façon d’y parvenir que de montrer que la Russie engage ses alliés ?
Les Ukrainiens ont présenté des vidéos de soldats dans le camp militaire Sergueïevski, dans l’Extrême-Orient russe, près de la Corée du Nord. On notera qu’il est facile de se faire passer pour des soldats nord-coréens d’ethnies asiatiques, originaires des républiques orientales de la Fédération, présents en nombre sur le front, ce que nous avons pu observer également en janvier…