Divertissement

1991 : La fin brutale des « wonderboys » de l’immobilier de casino

C’est l’histoire d’un aveuglement collectif qui a donné naissance à l’une des crises les plus graves qu’ait jamais connue le marché immobilier français. Les années 1980 ont été marquées par une véritable euphorie dans le secteur – dans le segment des bureaux comme dans celui du résidentiel.

« Trop de spéculation, hausse excessive des valeurs, anticipation déraisonnable, recours disproportionné au crédit et surproduction »… rapporte « Les Echos » : tous les ingrédients d’un krach sont réunis.

Pourtant, à la veille de la catastrophe, les professionnels du secteur étaient encore « au bord de l’extase ». Lorsque, en 1990, les premiers signaux d’alerte se font sentir, puis, en 1991, le marché se retourne, le réveil est brutal.

Trafic de promesses de vente

« La crise a touché en priorité Paris et sa région, puis d’autres grandes villes et quelques lieux touristiques. C’est un point différenciant par rapport à la crise actuelle, qui touche l’ensemble du territoire », rapporte Henry Buzy-Cazaux. Cette année-là, il venait d’être nommé délégué général de la Fnaim, la Fédération nationale des agents immobiliers.

Le ralentissement de l’activité a été «très soudain», dit-il. Certains ont évoqué une raison étrangère : la guerre du Golfe. Mais la réalité est que les arbres ont poussé jusqu’au ciel», poursuit-il.

« Les années précédentes, les prix en région parisienne augmentaient de 20% par an, on était dans une bulle spéculative », confirme Loïc Cantin, l’actuel patron de la Fnaim, qui dirigeait à l’époque depuis dix ans une agence immobilière à Nantes.

Entre 1987 et 1989, sur le marché de l’immobilier ancien, la Chambre des notaires de Paris relève un volume annuel moyen compris entre 35 000 et 40 000 transactions. En 1992, le nombre de ventes tombe sous la barre des 24 000. En un an, les prix ont baissé de plus de 11 %.

« Nous avons connu des périodes noires. Nous sommes restés six mois sans que la ville de Nantes n’enregistre une seule vente. Le marché était paralysé », se souvient Loïc Cantin. Les promoteurs, eux, se retrouvent avec d’importants stocks de logements invendus.

La situation est encore plus critique sur le marché des bureaux, où le parc a augmenté de 50% en six ans – de 1985 à 1991 – en région parisienne.

« Les grands navires de croisière lancés dans le Triangle d’or de la capitale par des opérateurs tablant sur des prix dépassant les 100 000 francs le mètre carré sont devenus des océans de pertes », écrivaient alors « Les Echos ». « Loin d’atteindre ces sommets, les prix ont chuté de 20 à 30 %, entraînant dans leur sillage les loyers. » Et provoquant la désertion des investisseurs.

Des immeubles vendus

« Il y avait des immeubles de bureaux vides qui n’avaient jamais eu de locataires et qui étaient vendus. On a vu des fonds vautours arriver et racheter ces immeubles. A cette époque, la France se séparait d’une partie de son patrimoine », se souvient Loïc Cantin.

La crise immobilière va bientôt secouer le système bancaire. Et pour cause : « Les banques ont financé des mécanismes pervers – des projets de promotion immobilière fous, déconnectés de la demande – et soutenus par des marchands de biens qui n’étaient pas des rénovateurs, mais qui achetaient des immeubles entiers au cœur de Paris ou des capitales régionales, et vendaient des promesses de vente », explique Henry Buzy-Cazaux.

« Cette pratique est aujourd’hui interdite, mais c’est pour cela que les marchands de biens ont gardé une mauvaise image. A l’époque, on ne sortait pas d’argent, on ne faisait rien et on prenait 100 000, 200 000, 300 000 francs ou plus », raconte Michel Yaouanc, alors syndic de copropriété à Nantes et récemment marchand de biens – mais avec pour objectif de les faire monter en gamme –, promoteur et promoteur. Pas étonnant que le filon ait attiré du monde… « Il y a eu des abus, jusqu’au jour où tout s’est effondré », se souvient-il.

En fait, « c’est toute la profession qui a péché. Les banquiers. Les notaires. Les agents immobiliers qui ont surfé sur la vague et encouragé la flambée des prix. C’était de la folie. Certains gérants sont tombés dans l’irresponsabilité », poursuit Henry Buzy-Cazaux. Un vrai jeu de Monopoly.

Des pertes massives pour les banques

Quand le marché tourne, l’ampleur des créances impayées et la décote sur les actifs immobiliers saisis font boire le bouillon aux banques. « L’heure est au bilan », résume Loïc Cantin – qui souligne qu’il faudra ensuite deux ou trois ans avant que le marché puisse redémarrer, car les banques ont coupé le robinet du crédit.

Fin 1992, les pertes potentielles des banques liées à l’immobilier étaient estimées entre 45 et 70 milliards de francs, selon nos archives. Il faut dire que, de 1988 à 1991, leurs engagements dans le secteur ont plus que triplé, passant de 65 à 204,5 milliards.

Les plus touchés sont les établissements spécialisés ou très exposés à l’immobilier, comme le Crédit Lyonnais – qui va devoir créer une structure de gestion des créances douteuses pour se débarrasser de ses créances douteuses, qui ne sont pas toutes, loin de là, liées à l’immobilier -, le Comptoir des Entrepreneurs, qui est au bord de la faillite. Ou encore La Hénin – filiale de La Compagnie de Suez – présidée à l’époque par Philippe Pontet, ancien membre du cabinet de Valéry Giscard d’Estaing lorsqu’il était ministre des Finances.

D’autres figures majeures émergent de ce mauvais film. C’est le cas de Christian Pellerin, surnommé « le roi de La Défense » pour avoir largement contribué au développement du quartier d’affaires, et qui s’est retrouvé sans le sou lors de la crise des années 1990. Son empire a été sauvé in extremis, mais avec une restructuration… de plus de 2 milliards de francs.

La fin du « wonder boy » de l’immobilier

Avant le changement, un autre homme faisait régulièrement la Une des magazines : le jeune marchand de biens Pascal Jeandet, parti de rien, sans diplôme, et devenu milliardaire en un temps record. Le « wonder boy » de l’immobilier – ou encore « le Donald Trump français », comme le surnomme à l’époque le « Nouvel Observateur » – avait l’art de flairer les bonnes affaires. « Il a réussi une fois à gagner 400 000 francs sur un simple coup de fil », rapporte l’hebdomadaire.

« En 1988, il possédait 252 immeubles à Paris. Il faisait graver ses initiales à l’or fin au fond de sa piscine dans sa villa d’Ibiza. Il donnait des fêtes fastueuses », raconte Henry Buzy-Cazaux. Son groupe est liquidé fin 1992 avec un passif d’environ 800 millions de francs.

Dans une vidéo d’archives, tournée en mai de la même année, précisément à Ibiza, Pascal Jeandet témoigne : « J’ai appliqué des méthodes financières totalement avant-gardistes à un marché très basique. Un tas de pierres. J’ai compris qu’on pouvait acheter sans payer – ou en tout cas promettre d’acquérir (…). J’ai gagné à la loterie avec ce système que j’ai inventé. » Tombé, selon ses propres termes, dans une « ruine dorée » (il jouissait encore de sa somptueuse maison des Baléares), il meurt prématurément deux ans plus tard. Maladie ? Suicide ? Sa famille n’a pas souhaité indiquer la cause de son décès.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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