10 000 licenciements et « un gros échec de la transition écologique »
C’est la fin d’un modèle qui laisse de côté 10 000 salariés. Cependant, depuis la route, ils se déplaçaient pour distribuer des dépliants publicitaires dans les boîtes aux lettres. A pied, en voiture ou à vélo. Partout en France et par tous temps. Le 9 septembre, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation de leur employeur, la société Milee, anciennement Adrexo, et de trois autres sociétés, toutes détenues par le groupe Hopps.
Le juge a ainsi acté le licenciement des quelque 5 000 derniers salariés. Cet été déjà, 5 000 de leurs collègues avaient été licenciés dans le cadre d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Milee était en procédure de redressement depuis le 30 mai. Il s’agit du plus grand plan social des quatre dernières décennies.
« j’étais dans Contrat à durée indéterminée depuis 2016 chez Mileetémoigne Ludivine, 34 ans, qui a prospéré sur le secteur Roubaix-Tourcoing. J’ai parcouru des kilomètres avec mon chariot. je ne les comptais plus ! » Elle a gagné « entre 1 700 et 1 900 euros » les premières années. Mais à son retour de congé parental, en octobre 2023, c’était la douche froide : son salaire avait été divisé par trois. « Je n’ai gagné que 600 euros pour le même nombre d’heures, soit 26 heures par semaine, et sans remboursement des frais de gasoil. Ils voulaient nous pousser à partir »analyse-t-elle aujourd’hui.
Une catastrophe sociale et humaine
Les employés de Milee étaient pour la plupart sans diplôme, étudiants, à temps partiel, en préretraite ou déjà retraités. « Les dépliants constituaient pour beaucoup une manière de compléter une petite retraite et leur permettaient de faire de l’activité physique et de créer des liens sociaux.déclare Guillaume Commenge, secrétaire fédéral de SNPEP–FO (syndicat national Presse-Edition-Publicité). Autrement, ils seraient restés à la maison, seuls à regarder la télévision. »
Selon la Fédération SudPTT1 750 personnes licenciées ont plus de 70 ans. Pour certains, ce salaire – qui pourrait osciller entre 600 et 800 euros environ avec un versement « à la tâche » — était un revenu supplémentaire. Pour d’autres, c’était leur seule ressource.
Ludivine attend toujours le paiement de ses salaires d’août et septembre : « Nous devons payer notre loyer et remplir le frigo. Comment fait-on ? ? » demande cette mère de quatre enfants. Les syndicats alertent sur la catastrophe sociale et humaine en cours. « Certaines familles se retrouvent déjà en grande difficulté »souligne Guillaume Commenge. Impossibilité de payer ses factures, son essence et même sa nourriture… La spirale d’une grande insécurité peut démarrer très vite, dès que les interdictions bancaires et les agios commencent à tomber. Et ce, d’autant que de nombreux licenciés n’ont pas encore reçu les documents leur permettant de postuler à France Travail et de bénéficier de leurs droits chômage.
Interrogé le 8 octobre par Zahia Hamdane (La France insoumise) à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Marc Ferracci a promis que « les salaires sont payés le plus rapidement possible » et que des solutions de reconversion soient proposées.
Le coup final avec Oui pub
Milee a connu diverses déceptions ces dernières années, mais sa faillite est avant tout due à la baisse structurelle et progressive du volume de prospectus distribués. Le coup final est venu avec la mise en œuvre de l’expérience de « Oui annonce » il y a deux ans. Issu de la loi Climat et Résilience, le dispositif est testé jusqu’à fin 2025 dans une quinzaine de territoires, avant une éventuelle généralisation.
Ainsi, dans les métropoles de Grenoble, Agen, Troyes et Nancy, la distribution de lettres commerciales sans adresse est désormais interdite. Uniquement les personnes ayant apposé l’avis « Oui annonce » sur leur boîte aux lettres sont servis. Objectif : réduire le gaspillage de papier, car ces publicités peuvent représenter jusqu’à 26 kilos de papier par an et par foyer. Selon les premiers retours d’expérience, une majorité de foyers dans les régions concernées choisiraient de ne plus recevoir de publicité imprimée.
« C’est un gros échec de la transition écologique »
En réaction à cette mesure, les enseignes de grande distribution, principaux clients de Milee, ont commencé à réduire le nombre de leurs catalogues publicitaires, voire à les supprimer. Le marché aurait diminué de moitié en quatre ans, passant de 10,4 milliards de tirages publicitaires en 2019 à 5,7 milliards en 2023, selon La Poste.
Papier biodégradable, encres écologiques…
« C’est un gros échec de la transition écologiquele juge Guillaume Commenge. Nous avions là une belle opportunité de produire proprement, de lancer une réindustrialisation locale avec la filière bois, et en imposant des normes de qualité environnementale et sociale élevées. Les dépliants publicitaires ne doivent pas être polluants. On sait faire avec du papier biodégradable, des encres écologiques… »
Avec son syndicat, il dénonce la disparition de la publicité imprimée au profit de la publicité numérique : « Rien ne prouve qu’il soit moins polluant que le papier. Le marché de la publicité sur Internet est actuellement repris par les géants du numérique, les Gafam. On assiste donc à une délocalisation de l’emploi et de la pollution. » Désormais, c’est l’ensemble du secteur de la publicité et du mannequinat qui serait concerné. « D’autres faillites et suppressions d’emplois s’annoncent »prévient le SNPEP–FO. Guillaume Commemerge estime, quant à lui, qu’il faut avoir une réflexion fondamentale sur le principe même de la publicité : « Comment voulons-nous promouvoir les produits ? Le prospectus est un moyen d’informer les consommateurs. C’est aussi une question de démocratie. »
Sud-PTT s’exprime dans un communiqué de presse de« une démonstration implacable de la négligence des pouvoirs publics à soutenir les impacts de la transition écologique » et d« un signal très inquiétant pour le mouvement écologiste ». La loi Climat et Résilience prévoyait un rapport d’évaluation de l’expérimentation « Oui annonce » après deux ans. L’Agence de la transition écologique (Ademe) nous a confirmé que le gouvernement le soumettrait aux parlementaires fin octobre. Il contiendra notamment une étude comparative de l’impact environnemental des campagnes publicitaires via papier imprimé et celles réalisées par voie numérique.
Une partie sera également consacrée aux conséquences sur l’utilisation du petit sticker « Oui annonce ». Une analyse très tardive. Milee n’a pas attendu ce rapport, ni que le système soit généralisé à tout le pays, pour fermer ses portes.
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